Frost / Nixon, l’heure de vérité

affiche_1.jpgIl faut se méfier de Ron Howard l’imprévisible, : l’homme incarne en effet la splendeur hollywoodienne avec des films comme De l’ombre à  la lumière ou Un homme d’exception autant que les pires ratages commerciaux de cette même contrée du cinéma, : Le Grinch ou encore Da Vinci Code. Il faut aussi reconnaître que les films d’Howard n’ont certainement pas cette personnalité caractéristique des grands films hollywoodiens des années 50 qu’il tente de remettre au goût du jour.

Après avoir revisité le cinéma de Capra à  travers l’évocation d’un boxeur déchu dans De l’ombre à  la lumière, le voilà  ici lorgnant à  la frontière du cinéma engagé des années 70 (qu’il conviendrait presque de renommer témoignage politique). Frost/Nixon appartient à  la catégorie de ces films que la carrière de Ron Howard nous a habitués à  voir et à  prévoir ; soit un thème fort, traité avec intelligence et efficacité, mais sans d’autre fonction que celle de raconter une histoire révolue. Aucun rapport au monde contemporain n’est à  appréhender dans l’évocation mise en scène, et la première raison, au-delà  du simple refus de comparer deux époques, est la platitude de la réalisation classique. Les cadrages sont ternes et amollissent un montage pourtant étudié pour éviter au spectateur toute forme d’ennui. Ce n’est pas tant le rythme que l’absence de conviction désactivant tout tempo qui rend le film long, étendu, et répétitif.

Car le problème majeur de Frost/Nixon est de ne pas donner à  certaines scènes-clés une différenciation esthétique par rapport au reste. Les conventions s’installent et s’étirent, jusqu’au bout ; contrairement à  Good night and good luck de George Clooney (un film voisin dans l’affrontement de pouvoir entre la vérité des médias et la machination politique) qui, non sans défaut, témoignait néanmoins d’une envie de conjuguer l’esthétisme du cinéma américain des années 30 à  la perfection technique des moyens d’aujourd’hui, le film de Ron Howard semble considérer l’apport visuel comme une perte des valeurs de fond. Tout reste tristement au stade de la reconstitution, soignée et agréable ; un parti pris qui, pourtant, empêche le film de décoller durant les séquences pourtant passionnantes des interviews, esthétiquement filtrées et dont le résultat fait plus penser à  un immobile débat qu’à  un duel psychologique d’où jaillissent les parts d’ombres de chacun. En filmant ces séquences de cette manière atone, Ron Howard nous donne à  voir la version finalisée et officielle de l’interview à  la télévision, ce qui donne l’impression de voir le programme télévisé sur grand écran, alors qu’il aurait été bien plus judicieux de saisir sur le terrain les pensées intérieures de Frost et de Nixon (et des personnages secondaires représentant chaque parti) en faisant jouer la proximité non pas par des gros plans de visages mais par la simple accentuation sur la présence des caméras et d’une équipe technique (l’idée d’un film dans le film n’a pas l’air d’avoir effleuré le cinéaste plus que ça).

Frank Langella, comédien peu connu mais reconnu, fait tout pour animer le symbole d’un Nixon détruit de l’intérieur mais qui reste un temps avec le dernier mot ; la présence imposante qui irradie tout son corps et la gestuelle qu’il fait vivre dans le moment rendent le personnage d’une parfaite complexité. Michael Sheen peine alors à  se débattre en journaliste engagé et convaincu mais paradoxalement ridiculisé par sa perfection physique et morale, plus mimée par le comédien que véritablement portée en lui. Kevin Bacon, pourtant peu présent (dommage car son rôle de conseiller auprès de Nixon aurait pu être passionnant), dépasse même, en trois scènes seulement, le charisme du héros révélateur historique qu’est David Frost. Frost/Nixon, s’il excelle finalement à  monter de manière efficace une histoire jusqu’au bout (les qualités de faiseur de Ron Howard ne sont absolument pas remises en cause), il échoue à  rendre dense l’affrontement psychologique de ces deux figures à  cause d’une mollesse et d’une prévisibilité handicapantes dans le face-à -face physique – et aussi à  cause du survol des séquences de vie privée qui les séparent, notamment dans l’absence quasi-totale de personnage féminin. Seules les dix dernières minutes et le dernier plan (malheureusement trop court) du film montrent tout ce qu’aurait pu être cette réalisation, finalement sans audace mais d’une indéniable honnêteté et d’une formidable pertinence.

Jean-Baptiste Doulcet

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Frost / Nixon, l’heure de vérité
Film américain de Ron Howard
Genre : Historique, Drame
Durée : 2h02
Sortie : 1er Avril 2009
Avec Frank Langella, Michael Sheen, Sam Rockwell

La bande-annonce :

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