Dans la brume électrique

affiche_8.jpgAvec Dans la brume électrique, Bertrand Tavernier prouve de manière magistrale et puissante qu’il est tout à  fait possible de s’imprégner d’une région de laquelle on n’est pas originaire, et, qui plus est, n’appartient même au pays où on a vu le jour. Mais on sait aussi que le réalisateur lyonnais de L’Horloger de Saint-Paul, baigné dans la cinéphilie depuis sa plus tendre enfance, nourrit plusieurs marottes qui traversent toute son oeuvre – et même au-delà  du septième art. En effet, s’il affectionne d’adapter les romans noirs des grands spécialistes du genre, : Simenon, Jim Thompson, et aujourd’hui James Lee Burke, considéré comme le  » Faulkner du roman noir  » , il voue aussi une passion pour l’Amérique, en particulier une de ses musiques fétiches, : le jazz, mais aussi son cinéma auquel il a consacré deux ouvrages qui font référence.

Après avoir été vers l’Orient – le Cambodge pour Holy Lola, film mixant documentaire et fiction pour explorer l’univers complexe de l’adoption dans ce pays – direction, cette fois, de l’autre côté, : Tavernier plante ses caméras en pleine Louisiane, plus précisément à  New Iberia, petite paroisse où office Dave Robicheaux, héros récurrent des polars de Lee Burke, en tant que shérif adjoint. Cet ancien inspecteur de la criminelle et vétéran du Vietnam doit enquêter sur les méfaits d’un serial killer qui s’en prend à  de très jeunes femmes qu’il massacre atrocement. En parallèle de cette affaire, un film est en train de se tourner avec une star hollywoodienne alcoolique, ivre du matin au soir. Un film produit par la mafia locale, qui fait par ailleurs ses choux gras des désastres provoqués par l’ouragan Katrina. Car Tavernier a transposé l’action de Dans la brume électrique à  l’époque actuelle, dressant en toile de fond un portrait de la Louisiane passée aux mains d’affairistes sans scrupule, : la magnificence des villas contrastant avec l’enfilade de maisons modestes mises à  terre par la tempête. Durant les répétitions, le cadavre d’un Noir est déterré, et du même coup de vieux souvenirs pour le shérif, homme probe et intègre, hanté par la culpabilité et les dérives que connait la région.

Robicheaux – interprété de main de maître par Tommy Lee Jones – est un taiseux, avare de paroles et de démonstrations. Seuls quelques passages en voix off – une voix presque crépusculaire qui porte en elle toutes les tonalités d’une existence tourmentée – permettent de pénétrer davantage la personnalité complexe du shérif. Pour lequel l’enquête d’aujourd’hui et la résurgence du passé finissent par s’imbriquer, faisant rejaillir ses interrogations quasi philosophiques. L’homme est effectivement hanté de toutes les plaies qui ont déchiré la Louisiane, pays de bayous marécageux à  la végétation luxuriante, dont les clivages interraciaux restent terriblement vivaces. Un coin où il est plus prudent de ne pas trop en dire, de rester en quelque sorte à  sa place, ce que revendiquent tous les témoins approchés par le shérif, dont les certitudes pourraient bien vaciller, nécessitant la convocation de curieux fantômes aux conseils pétris de sagesse.

Bertrand Tavernier parvient en effet à  introduire une dimension surnaturelle dans son film qui n’altère en rien sa force et sa maîtrise. Le réalisateur de La Mort en direct livre ici un film regroupant tous ses centres d’intérêt et ses passions, ; l’alliage ainsi obtenu est bien du plus beau métal qui soit, tant Dans la brume électrique transporte par ses qualités visuelles, : photo magnifique qui décline toutes les nuances des verts, amplitude des mouvements de caméra et largeur des plans. Tout cela resterait du domaine de l’accessoire si ne venait s’y ajouter la dimension métaphysique et temporelle qui interroge les origines du mal et le poids du passé.
Sans jamais trop en faire, conservant sa patte, Bertrand Tavernier se hisse au niveau des grands cinéastes qu’il admire. On ne peut s’empêcher de penser à  l’un d’entre eux, qui nous a beaucoup déçus avec ses dernières réalisations, : il s’agit bien sûr de Clint Eastwood qui n’a certes pas su témoigner d’une subtilité et d’une rigueur comparables. Comme quoi le classicisme autorise encore la naissance de grands films, pour peu qu’il soit au service d’une complexité assumée et de la création d’une ambiance en tous points mystérieuse et envoûtante.

Patrick Braganti

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Dans la brume électrique
Film français, américain de Bertrand Tavernier
Genre : Policier
Durée : 1h57
Sortie : 15 Avril 2009
Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard, Mary Steenburgen

La bande-annonce :

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