Il y a de plus en plus de films de fiction qui s’ancrent dans le réel et qui, par conséquent, épousent une forme proche du documentaire – Nulle part, terre promise vu récemment représente l’archétype de ce phénomène. Par ailleurs, les vrais documentaires sans aucune béquille fictionnelle se multiplient sur nos écrans. Ne me libérez pas je m’en charge appartient sans conteste à cette catégorie, mais en dépit du dépouillement de sa mise en scène qui confine à l’ascétisme, le projet de Fabienne Godet paraît s’éloigner du réel et, au travers du parcours d’un homme hors du commun, nous renvoyer à notre propre état d’humain, en proie aux doutes et aux questions existentielles.
Né en 1951, Michel Vaujour est en effet un être véritablement à part, : condamné pour vol de voiture et conduite sans permis, il échoppe de 30 mois d’emprisonnement à l’âge de 19 ans. A peine sorti, de nouveau confronté à la police pour des motifs identiques, il revient derrière les barreaux. Ce deuxième séjour constitue l’amorce d’une longue série car, tout juste âgé de 24 ans, Michel Vaujour devient le roi de l’évasion, : évadé et repris trois fois, le jeune homme encore petit malfrat vit ces années avec légèreté, semblant tirer un réel plaisir à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre. Son placement en quartier de haute surveillance à Chaumont dès 1979 modifie la donne, obligeant Vaujour à redoubler d’ingéniosité et de méthode pour parvenir à s’échapper. C’est en mai 1986 que son inventivité atteint son apogée puisqu’il s’évade de la prison de la Santé par les toits grâce à l’aide d’un hélicoptère piloté par sa femme d’alors, Nadine. Evasion spectaculaire, presque cinématographique, la cinquième déjà , qui précède néanmoins un retour quatre mois plus tard derrière les barreaux, : Michel Vaujour, repris lors d’un braquage, a pris une balle dans la tête et est atteint d’hémiplégie.
Cette fois, l’un des derniers représentants du grand banditisme écope d’une peine très lourde qui l’emprisonne théoriquement jusqu’en 2019. Celui qui va passer dix-sept ans en isolement complet va entreprendre un long et douloureux voyage intérieur à l’issue duquel il espère trouver une certaine paix. Car Michel Vaujour est un homme intelligent, capable d’exprimer avec des mots précis et visant juste les différentes étapes de sa trajectoire. Ainsi lui a t-il fallu des années avant d’appréhender la vacuité de ses évasions, n’éprouvant aucune joie à recouvrer la liberté. Habité par une pulsion de mort débouchant sur une incapacité à aimer, Michel Vaujour recherche sa propre perte jusqu’à saisir que son évasion la plus belle sera celle consistant à échapper aux prisons dans lesquelles il s’est enfermé tout seul. Prison mentale dont la construction remonte sans doute à la prime enfance, avec une relation au père conflictuelle.
Brillant, possédant une force mentale extraordinaire, qui peut le conduire à répéter dans sa tête pendant des mois le scénario méticuleux de sa prochaine évasion, ou à malaxer un morceau de fromage pour en faire une empreinte de clef, Michel Vaujour est aussi un charmeur. L’homme au regard bleu perçant a quelque chose du serpent à sonnettes qui captive et ensorcèle sa proie. La fascine et la tient sous sa coupe. Les femmes sont étroitement liées à la vie de Vaujour : Nadine hier – interprétée par Béatrice Dalle en 1992 dans La Fille de l’air – puis Jamila, jeune étudiante de 22 ans qui tenta de réitérer le coup réussi par Nadine et qui fut incarcérée pour sept années. Fabienne Godet, réalisatrice du remarqué Sauf le respect que je vous dois en 2006 – incluant la scène de suicide la plus traumatisante que j’ai pu voir – éprouve à l’évidence une véritable admiration pour l’ancien bandit qu’elle écoute plus qu’elle n’interroge vraiment, scrutant son visage, et surtout l’expression magnétique de ses yeux, dans des plans rapprochés, excluant du coup toute distanciation. Les mots de Michel Vaujour occupent une place majoritaire dans le film, des mots qu’il livre sans crainte devant une caméra qu’il paraît apprivoiser et savoir tenir à la bonne distance, des mots qu’il dit avoir répété pendant 27 ans et connaître par coeur. Tout juste voit-on quelques extraits de journaux télévisés retraçant le périple de celui qui fut l’homme le plus recherché de France, ainsi que de magnifiques plans de coupe sur des paysages vus par une vitre de train ou de voiture, glorifiant une nature dans laquelle Michel Vaujour aspire à vivre, loin des villes inhumaines.
Ne me libérez pas je m’en charge est un film austère, qui prend le temps d’enregistrer la parole lucide et apaisée d’un homme qui, parce qu’il perdit son innocence et ses illusions dans une cellule de 9m,², acquit du coup la concentration, l’énergie et la force mentale pour survivre à cet enfermement, sans lesquelles il serait devenu fou ou se serait tué depuis longtemps. C’est donc le portrait captivant et fascinant d’un homme qui, prenant conscience de l’engrenage destructeur dans lequel il s’est fourré, se met à réfléchir – penser et penser jusqu’à ce que ton cerveau ne puisse plus s’arrêter comme il le dit lui-même – et entame un parcours de résistant, mettant enfin son intelligence au service de ce qui sera un jour sa sortie légale et légitime. Qui intervint en septembre 2003, Michel Vaujour obtenant l’une des plus grosses remises de peine jamais obtenues en France, soit seize ans. Difficile à trancher si ces années de prison – signalons au passage que Michel Vaujour n’a jamais tué personne – ne sont qu’un formidable gâchis ou une étape nécessaire, mais ô combien longue, pour entamer une ascension intérieure conduisant à la plus belle et indispensable des réconciliations, : avec soi-même.
Patrick Braganti
Ne me libérez pas je m’en charge
Film français de Fabienne Godet
Genre : Documentaire
Durée : 1h47
Sortie : 8 Avril 2009
Avec Michel Vaujour
La bande-annonce :
Très beau commentaire ! Je m’en servirai : j’anime un « ciné-philo » autour de ce film, dimanche 14 juin, en présence de M. Vaujour.
Merci !
Daniel Ramirez