Un peu comme Charlotte dans Lost in translation, Romaine a quelque chose de l’héroîne décalée, propulsée sous d’autres fuseaux horaires propices à renforcer cette impression d’être déboussolé et d’éprouver bien des difficultés à gérer sa propre vie. Mais là s’arrête toute ressemblance entre les films de Sofia Coppola et Agnès Obadia. Car, si la première flirtait avec une certaine gravité où perçaient solitude, ennui et vacuité, la seconde choisit la voie de la fantaisie débridée, où l’absurde côtoie le comique de situation.
Ce n’est pas en fait la première fois qu’Agnès Obadia met en scène Romaine, une godiche d’une trentaine d’années, se laissant ballotter au gré des courants et des décisions de Justin, son petit ami. Depuis 1989, quelques courts-métrages jusqu’alors interprétés par la réalisatrice elle-même ont ponctué la saga de cette héroîne à contre-courant des personnages habituels. Cette fois, on passe à la vitesse supérieure tant au niveau des ambitions que du générique. Organisé par Justin, le roi de la surprise, le prochain Noël démarre pour Romaine les yeux bandés direction Roissy, puis Montréal. Mais, dès le vol menacé de s’écraser, tout foire car Romaine, en veine de confidences ultimes, fait fuir Justin sitôt atterri. S’en suit une avalanche de rebondissements qui voient la jeune fille se marier, travailler dans un bar et s’embarquer pour un périple de 1200 kilomètres.
Ici, le décalage ne provient pas d’une immersion dans une culture sans repères, puisque les cousins québécois parlent le français, avec certes un accent prononcé et des expressions très imagées. C’est la différence de température avec la neige omniprésente qui perturbe l’équilibre précaire de Romaine. Agnès Obadia bouscule avec délectation le corps de Sandrine Kiberlain, qui passe une bonne partie du film en robe de mariée et grosse doudoune rouge. Aussi bien trainée dans la neige que transpercée d’aiguilles chez un curieux acupuncteur, en plein orgasme au milieu d’un bar comme guettant l’apparition d’un élan, la comédienne se plie avec bonheur aux délires de la réalisatrice, révélant du coup une véritable nature comique.
A la fois ridicule et émouvante, Romaine est sans cesse en train d’agir malgré elle, au moment même où elle tente de conquérir son indépendance. Fille un peu malchanceuse, doutant d’elle et ne sachant pas trop où elle en est, Romaine se montre aussi déterminée, pas disposée à avaler n’importe quelle couleuvre. A côté d’elle, une galerie de personnages secondaires savoureux et tendres, comme un chauffeur de taxi voulant faire un cadeau d’adieu à son grand-père mourant, ou une hôtesse de l’air angoissée et maniaque. Agnès Obadia réussit même à ne pas tomber dans le folklore toujours tentant quand on plante sa caméra au Québec.
On apprécie énormément la justesse des dialogues percutants et la cocasserie continuellement inventive de Romaine par moins 30. Burlesque et hilarant, le film ne se prévaut pas d’autres intentions, pas même celle d’esquisser en creux le portrait d’une génération en manque de repères et de certitudes. Agnès Obadia continue à peaufiner un univers loufoque et personnel à l’égal de Sophie Fillières, dont Un chat un chat possède à l’évidence des points communs avec Romaine par moins 30.
Patrick Braganti
Romaine par moins 30
Film français d’Agnès Obadia
Genre : Comédie
Durée : 1h25
Sortie : 29 Avril 2009
Avec Sandrine Kiberlain, Pascal Elbé, Elina Lowensohn…
La bande-annonce :