Si Emmanuel Finkiel n’avait pas déjà utilisé le titre, Amerrika aurait très bien pu s’intituler Nulle part, terre promise. Puisant largement dans ses souvenirs personnels, Cherien Dabis réalise un premier long-métrage qui interroge la question de l’identité et de l’appartenance à une culture à travers le destin d’exilés. Pour Mouna et son fils Fadi qu’elle élève seule depuis son divorce, la vie quotidienne en Palestine est de plus en plus morose, gâchée par le temps perdu aux check-points à traverser le mur qui déchire et défigure le pays. C’est pourquoi, sur l’insistance de Fadi, lycéen dans une école privée qui ne se fait aucune illusion sur son avenir, Mouna n’hésite-t-elle pas longtemps lorsque lui est offerte la possibilité d’émigrer aux Etats-Unis et d’y rejoindre sa soeur Raghda, installée dans l’Illinois depuis quinze ans.
Adieu Ramallah, sa chaleur sèche et sa lumière blanche, ; bonjour Chicago, ses frimas et sa grisaille. Le choc ne sera bien sûr pas que climatique. Devant rapidement trouver un emploi – l’argent économisé a été malencontreusement subtilisé par les douaniers – Mouna se retrouve confrontée à la situation économique du pays, mais surtout au racisme ambiant de potentiels employeurs que son statut d’émigrée arabe effraie. En effet Amerrika prend justement place au moment où se déclenche la guerre contre l’Irak et Saddam Hussein. Dès lors, chaque arabe est assimilé à un terroriste musulman en puissance, réflexe d’autoprotection manifesté d’abord par les condisciples de Fadi. Alors que les patients du mari de Raghda lui tournent le dos et que la situation financière du ménage se dégrade, Mouna décroche un emploi au fast-food local, bien en dessous de ses capacités et de son niveau d’études. Le film multiplie les rebondissements, déconvenues et lueurs d’espoirs pour s’acheminer vers une issue résolument optimiste.
C’est bien l’impression qui domine Amerrika – titre qui fusionne l’anglais et l’arabe, où l’adjectif amer est aussi présent pour le public francophone – celle d’une énergie optimiste et volontariste, qui confine parfois à l’angélisme et teinte le film de certaines invraisemblances. Le film s’ingénie à explorer quelques pistes mais les abandonne en cours de route. Un esprit de réconciliation et de fraternité recouvrée gagne Amerrika en fin de parcours sans que les motifs de son avènement soient réellement exposés. En dépit de bonnes intentions, Cherien Dabis ne parvient qu’en partie à nous faire toucher du doigt les enjeux de la condition d’exilé et de déraciné, écartelé entre deux cultures, chacune insatisfaisante et tronquée à des niveaux divers. Plutôt que creuser des personnages attachants, la jeune réalisatrice choisit l’option de les entrainer dans un maelstrom d’aventures rocambolesques, : accident, garde à vue de Fadi et sympathie avec le proviseur du lycée.
Sauvé par l’interprétation et par une vision qui refuse tout manichéisme et toute stigmatisation aussi bien de l’oppresseur israélien que de l’hôte américain, Amerrika aurait probablement gagné à plus de profondeur et à moins de candeur.
Patrick Braganti
Amerrika
Film canadien, américain de Cherien Dabis
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h32
Sortie : 17 Juin 2009
Avec Nisreen Faour, Hiam Abbass, Melkar Muallem…
La bande-annonce :