Dans les cinquante premières pages de son dernier ouvrage, j’ai la diffuse impression que Jonathan Coe (dont je suis un grand admirateur) se laisse aller pour la première fois à un sentimentalisme gnangnan, du pathos non avenu, du fleur-bleue répulsif. Mais, au final, c’est l’exact contraire qui se produit : Coe fait frémir cinq minutes, puis nous achève dans un éblouissement magnifique. La Pluie avant qu’elle tombe, un peu différent du reste de son oeuvre littéraire, n’en est pas moins un des plus émouvants.
Pourtant, ma peur furtive de départ était causée par la construction de cette saga féminine s’étalant sur plusieurs décennies, dans l’Angleterre de l’après-guerre à nos jours : il s’agit de Rosamond, vieille dame seule et sans enfants, qui laisse en témoignage à sa nièce héritière des enregistrements audio à faire écouter à l’autre héritière de sa fortune, une certaine Imogen que personne ne connaît. Pour la retrouver, Gill et ses filles vont écouter les cassettes, où Rosamond, avant de se donner la mort, commente vingt photographies de famille dont elle va faire l’analyse en disgressant sur les épisodes plus ou moins secrets et tourmentés de ses proches… Le procédé est un peu facile, cinématographiquement usé, mais quand Coe est au bout de la plume, évidemment, ce procédé est retourné comme une crêpe, tordu comme un roseau pour laisser échapper l’émotion, la vraie, qui vous embue les yeux et le cerveau au long de ces splendides pages.
Si la mélancolie de ses précédents romans était masquée par le cynisme, la drôlerie et le ton revanchard, elle éclate désormais dans chaque paragraphe de ce roman de femmes, mais qui semble également écrit »par » une femme. Un peu comme chez Woolf, on suit avec élégance et délicatesse des femmes sur diverses générations, leurs dilemmes, leurs passions et leurs drames qui font, de toutes les existences, des parcours de hasards et de coîncidences. Et jusqu’au dénouement final, le long de ces descriptions photographiques faites de vérités dévoilées et de rancoeurs qui éclatent enfin, le style simple mais brillant de l’auteur fait à nouveau mouche et dévaste d’un ouragan salutaire tous les petits défauts qui semblaient poindre sur le postulat de base.
A ce stade de »compétition littéraire » on peut franchement parler de réussite totale. La pluie avant qu’elle tombe touche droit au coeur.
Jean-François Lahorgue
Editions Gallimard
249 pages, 19,50 €¬
Date de parution : mars 2009.
Vision bien différente de la mienne mais pour le moins intéressante. C’est vrai que la notion de mélancolie inonde le livre, mais selon moi le risque découle de la structure narrative et non pas du léger penchant vers une forme subjective de niaiserie.
A+
Ben