Prenez un simple balayeur dans l’espace le moins convivial et le plus théâtral du monde – un hall d’aéroport. Vous obtenez la base singulière du premier roman d’Alberto Torres-Blandina, auréolé de prix et de succès de l’autre côté des Pyrénées. Ajoutez à cela des anecdotes plus ou moins réalistes ou empreintes de sagesse, des voyageurs patients ou qui s’ennuient, des serveuses de cafétéria peu farouches, des retards d’avions propices aux bavardages les plus incongrus, et vous obtenez un roman à la fois léger et sans prétention, propice aux réflexions plus profondes ou, au contraire, au simple plaisir de déguster de petites nouvelles romanesques.
Car la construction de ce livre déforme logiquement l’intrigue en série de rencontres courtes comme autant de saynètes d’un immense lieu scénique. L’aéroport, lieu de passage et d’anonymat total, où se livrer, laisser aller son imagination ne fait courir aucun risque, ne suppose pas de connaître vraiment son interlocuteur ; et c’est ce qui arrange Salvador Fuensanta, le narrateur-balayeur qui, à la première personne du singulier, se livre, parle à des personnels du hall de transit ou à des touristes en attente, et leur demande leur destination, ce qui le renvoie à des historiettes sans importance, des gens qu’il a connus, des situations qu’il aurait vécues…ou pas. Car tout le mystère réside dans la véracité des dires de Fuesanta : un homme qui s’ennuie et qui blablate des délires en attendant la mort ? Un ex-globe-trotteur qui aurait tout vu, tout connu, tout vécu ? Un curieux sensible qui saurait comprendre et réconforter ceux qui se confient à lui, en espérant une réciproque ? Le lecteur ne le saura jamais, il reste sur le bord de l’identification de ce personnage principal, buvant essentiellement ses anecdotes plus ou moins fantaisistes et moralisatrices.
La force de ce procédé littéraire en est aussi sa faiblesse : il n’y pas vraiment d’enjeu sur Le Japon n’existe pas, c’est plutôt une succession de chapitres comme autant d’allées et venues du balayeur à la rencontre des uns et des autres, expliquant l’intérêt ou pas d’aller dans un pays (sans y avoir jamais mis les pieds, forcément…!), et de revoir deux ou trois fois une personne pour relater une longue aventure en plusieurs épisodes, comme un feuilleton télévisé haletant. Hormis de très belles idées (les codes drague de chacun dans ce lieu si impersonnel mais propice à tous les désirs, le club des Désirs Impossibles…), Alberto Torres-Blandina peine à imposer son livre comme un objet passionnant et à dévorer. Au pire, on le lira par petites bribes, comme une succession de sketches écrits ; au mieux, ce sera le livre idéal pour attendre votre vol !
Jean-François Lahorgue
Le Japon n’existe pas, de Alberto Torres-Blandina
Editions Métailié, 159 pages, 17 €¬ environ
Date de parution : mai 2009.