Que ce soit dans sa production littéraire ou cinématographique, le breton Christophe Honoré s’est toujours intéressé à la famille, ses névroses et ses déchirures, en faisant le terreau idéal de tous les conflits qui imbriquent l’intime au collectif. En clair, comment trouver sa place au sein de la cellule familiale, s’en émanciper en se débarrassant des liens du sang. C’est sans doute pourquoi les personnages féminins – et en tout premier lieu les mères – ont toujours les meilleures places chez le réalisateur des Chansons d’amour.
Non ma fille, tu n’iras pas danser ne déroge pas à la règle, a même tendance à la renforcer. En effet, le film repose en grande partie sur les épaules de Léna, une ancienne anesthésiste ayant décidé de tout plaquer (boulot et son mari Nigel), histoire de retrouver un peu d’espace, recouvrer une certaine indépendance. Ce qui s’augure mal compte tenu du séjour qu’elle s’apprête à passer chez ses parents en Bretagne, où se trouvent déjà sa soeur Frédérique, enceinte, et son jeune frère Gulven. Loin du cadre parisien de ses précédents opus, le provincial Honoré – à qui l’on reproche souvent et à tort son parisianisme – prend possession avec un réel bonheur de cinéaste de sa région natale. La campagne ne cesse de bruisser et de se mettre à l’unisson des sentiments. Dans cette mise en place où sont tout à fait perceptibles les procédés du réalisateur, on pense souvent à André Téchiné – la Bretagne de l’un versus le Sud Ouest de l’autre. Et on espère se couler dans un bon film intercalant avec tact légèreté et gravité, en suivant les prises de becs et les réconciliations de Léna et les siens.
Cet espoir est rapidement brisé. La rupture qui nous entraîne vers déception et ennui, que les dernières minutes du film parviennent néanmoins à quelque peu dissiper, intervient très exactement au moment où Léna décide de quitter prématurément la maison familiale en demandant à son beau-frère Thibault de la raccompagner à la gare. A cet instant précis, on se dit que Christophe Honoré a un problème (dans ce film, en tout cas) avec les rôles masculins. Le pauvre Thibault – que sa femme compare à une hyène – n’est guère mieux traité que Nigel, le mari de Léna, et l’arrivée de Simon, ancien flirt de cette dernière, n’arrange rien à l’affaire. Disons-le sans ambages, : Marcial Di Fonzo Bo, Jean-Marc Barr et Louis Garrel jouent faux.
Puis, Non ma fille, tu n’iras pas danser est coupé en son milieu par l’illustration d’un vieux conte évoqué par Anton à sa mère Léna. Un quart d’heure interminable de folklore lourdement significatif qui casse tout l’équilibre du film, une rupture de ton à la nécessité suspecte – si ce n’est d’obtenir des subventions de la région – qui casse complètement l’atmosphère du film. D’autant plus que nous sommes après cette pompeuse évocation revenus à Paris où Léna, devenue fleuriste, refuse de plus en plus la présence de sa famille et réclame de manière désordonnée et fantasque son territoire de liberté. La cuisine de Léna sert de scène aux règlements des divergences et des rancoeurs comme elle était un lieu central et cathartique dans Les Chansons d’amour et Dans Paris. Mais la confrontation entre la mère omniprésente et insidieuse et la fille éprise de liberté arrive bien tard, ne nourrissant qu’à la toute fin notre intérêt pour cette jeune femme perturbée, à la fois drôle et émouvante, à l’énergie salvatrice. Par contre, rien à redire sur l’interprétation des comédiennes, dont bien sûr Chiara Mastroianni qui joue sur de multiples registres (dont la prestation dans Un chat un chat il y a quelques mois nous avait déjà convaincus de l’étendue du talent).
Les Chansons d’amour – dont jamais Non ma fille, tu n’iras pas danser ne renoue jamais avec la grâce et le charme – mettait en scène plusieurs personnages en donnant l’impression de les traiter équitablement. Ici on frôle un certain déséquilibre, : Frédérique et Gulven sont ébauchés, mais peu approfondis, de même pour les personnages du père et de la mère, une maladie évoquée de loin en loin.
Le film souffre sans doute d’une absence de dramaturgie croissante. Autrement dit, on a peine à se captiver pour les états d’âme de ce petit monde. Les étapes de l’évolution de Léna ne sont pas balisées, existent-elles seulement, ? et sinon, à quoi sert ce film qui finit par faire du surplace.
Grosse déception d’un auteur que nous avons ici porté aux nues. Certes, Non ma fille, tu n’iras pas danser n’est pas un navet. Le film sait être drôle, jouissif et on y sent l’influence du travail de son réalisateur au théâtre. Les personnages ne sont jamais si bien filmés que figés, sans parler des statues romaines – motif récurrent chez Honoré. Enfin, la musique d’Alex Beaupain en collaboration avec l’Orchestre Symphonique National Slovaque est ici atrocement pompière.
Pour ne pas terminer sur une note trop pessimiste, nous ajouterons qu’il y a néanmoins un personnage magnifique dans le film, : c’est celui d’Anton, le fils de Léna, un garçon éveillé et intelligent, qui cristallise – et de quelle façon – les névroses de son entourage. Les enfants et les animaux n’ont jamais d’ailleurs été aussi présents, le réalisateur de La Belle personne commencerait-il (ou continuerait-il) à douter du monde adulte, ?
Patrick Braganti
Non ma fille, tu n’iras pas danser
Film français de Christophe Honoré
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h45
Sortie : 2 Septembre 2009
Avec Chiara Mastroianni, Marina Fois, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr, Louis Garrel,…
La bande-annonce :
j’ai adoré ce film… j’en parle aussi sur mon blog