Comment encore apporter un regard neuf sur la guerre, ? Vaste question tant le sujet apparaît galvaudé, ressassé jusqu’à l’écoeurement d’un spectateur (ou lecteur) aspirant à plus de légèreté, et qu’on le laisse tranquille, loin des théâtres d’opération dont son pays, son bout de continent occidental, n’est plus la scène depuis soixante ans maintenant. Faut-il pour autant se boucher les yeux sur les méfaits d’un conflit quel qu’il soit, les ravages qu’il provoque chez des hommes qu’il transforme petit à petit en sous-hommes, bien en-dessous de la moindre espèce animale qui, elle, tue pour sa nourriture et sa survie. Autant d’interrogations philosophiques et éternelles qu’aborde Ordinary People, premier long-métrage radical et incontournable du serbe Vladimir Perisic qui revient sur la froide orchestration du génocide bosniaque. Mais pas seulement, car la portée de Ordinary People est sans conteste universelle et atemporelle, ce qui place d’emblée le film à un niveau d’exigence remarquable.
Cette exigence du fond – et l’on pense ici beaucoup au roman de Robert Merle, : La mort est mon métier – va de pair avec la recherche formelle. Le dispositif est on ne peut plus simple, : suivre en une journée et quasiment en temps réel le vie d’une petite troupe de soldats, et plus précisément celle de Dzoni, le plus jeune mais aussi le plus récemment recruté pour exécuter des hommes déclarés coupables parce qu’ennemis sans autre forme de procès. Réveil silencieux, inspection des dortoirs, puis long trajet en bus dans une campagne verdoyante écrasée de soleil et de chaleur jusqu’à de vieux bâtiments désaffectés où Dzoni et ses coreligionnaires vont abattre les différents groupes d’hommes qu’une camionnette conduit à cette fatale destination. Ivre d’ennui et d’une gnôle aidant à endormir le remords et soulager la conscience, Dzoni, qui fait d’abord part de son incapacité à accomplir ce pour quoi il s’est engagé, finit par rentrer dans le rang et même faire preuve d’un certain zèle lorsqu’une des victimes refuse de s’agenouiller et de tourner le dos.
Sans bruit autre que les détonations, avec un minimum de dialogues réduits à des ordres ou des échanges de banalités, Ordinary People questionne le basculement d’un homme quelconque en tueur. En longs plans fixes qui l’inscrivent dans la durée et le passage d’un temps qui semble s’étirer à l’infini, le film se caractérise aussi par son sens de la lumière et sa composition photographique qui en font une oeuvre à part entière. Lorsque le car repart, Dzoni confie lors d’une halte sa fatigue et son désir de ne pas en faire davantage. Remarque qui banalise cette journée en simple intermède de travail, à peine le chef de la troupe demandera t-il à la jeune recrue de s’appliquer davantage la prochaine fois.
Commencé dans l’obscurité matutinale d’un dortoir, Ordinary People s’achève par celle de la nuit tombée. Entre-temps, la lumière l’aura totalement irradié, rendant presque irréelle la tache des soldats, personnes ordinaires que la compassion et la rédemption ne peuvent plus guère atteindre, réfugiées dans le silence et la fuite, : ne pas poser de questions, se détendre sont les seuls conseils que reçoit Dzoni d’un de ses comparses. Rappelant par endroits la radicalité et l’abstraction de Flandres (Bruno Dumont), Ordinary People choisit la frontalité et la mise en pleine lumière. On en ressort terrifiés et saisis d’un effroi glacial qui ne vous lâche pas de sitôt.
Patrick Braganti
Ordinary People
Film serbe, français, suisse de Vladimir Perisic
Genre : Drame
Durée : 1h20
Sortie : 26 Août 2009
Avec Relja Popovic, Boris Isakovic, Miroslav Stevanovic,…
La bande-annonce :