C’est un groupe d’amis, anciens étudiants en Droit, qui partent en weekend au bord de la mer Caspienne. L’expédition est organisée par Sepideh, qui a aussi invité Elly, l’institutrice de sa fille à se joindre à la petite bande, dans le but de la présenter à Ahmad, récemment divorcé et de retour d’Allemagne. Bien qu’ils doivent se contenter d’une maison sale et ouverte aux quatre vents, l’ambiance entre les amis est à la fête, : tous s’agitent pour rendre les lieux plus propres et plus conviviaux. Ce ne sont que rires et plaisanteries que capte une caméra à l’épaule extrêmement mobile et fluide. Seule Elly semble se tenir un peu à l’écart, gênée par la complicité étroite qui unit Sepideh et ses amis. Insidieusement, A propos d’Elly distille déjà une angoisse diffuse, on pressent que quelque chose pourrait bien survenir et ébranler le bel équilibre. Lorsqu’un des enfants manque de se noyer, on pense alors que le pire s’est produit. Le garçon sauvé, c’est la disparition soudaine et inexpliquée d’Elly qui jette la plus grande confusion au sein du groupe d’amis.
A propos d’Elly est signé par Asghar Farhadi, cinéaste iranien. On nourrit sur son pays beaucoup d’idées reçues que l’actualité – ou plutôt le traitement par les médias occidentaux de celle-ci – ne fait que renforcer. Sans oublier que le pays est géré par une dictature totalitaire qui fait fi du caractère républicain et démocratique de l’Etat, on doit reconnaître d’emblée une dimension universelle au film, qui dépasse largement les particularismes de la société persane. Ce qui est ici en enjeu, c’est d’abord le poids du mensonge, des arrangements et des compromissions ainsi que l’impossibilité à s’empêcher de juger – un jugement qui effectivement est façonné par les origines et la culture et qui prend dans A propos d’Elly une signification toute particulière au regard même du parcours de ceux qui le professent. Réservée et timide, Elly incarne le mystère (et une certaine forme d’altérité) mais concentre aussi sur elle , curiosité et intérêt, avant d’être désignée comme celle qui rompt la belle harmonie et sème à son insu la discorde.
Alors que Asghar Farhadi filmait au début ses personnages rassemblés et amicaux, il va après la disparition d’Elly les montrer isolés et adversaires, retranchés et vindicatifs, dans une opposition qui se renforce au fur et à mesure que surgissent les révélations. En effet, outre le portrait au scalpel d’un groupe en train d’imploser qui l’amène aux confins de la psychologie, le film revêt par ailleurs les attributs du thriller, tant la tension est croissante. Traitant tous les protagonistes sur un même pied d’égalité, A propos d’Elly reprend à son compte les codes de la tragédie grecque, : positionnement des corps dans le cadre et puissance des joutes verbales entre les hommes et les femmes. Celles-ci, toutes voilées comme l’imposent les usages, semblent jouer à armes égales avec leurs conjoints, tandis que la situation d’Elly, encore célibataire, met en relief la différence de traitement selon le statut.
Asghar Farhadi ausculte avec une précision d’entomologiste au service d’une mise en scène virtuose (quelques plans en prouvent la maîtrise et le sens du découpage) la décomposition d’un groupe, qui ne survivra pas à la confrontation des différents points de vue – essentiels et fondamentaux – sur l’honneur et la morale. Ou comment face à une situation extraordinaire les personnalités se dévoilent et se révèlent, mettant à jour les petitesses, les lâchetés et les mesquineries de chacun. Ou comment chacun s’arrange avec la réalité, la remodèle ou l’édulcore afin d’être en paix avec sa propre conscience. Primé à Berlin (Ours d’Argent), A propos d’Elly nous fait découvrir pour notre plus grande joie un autre pan du cinéma iranien, loin de l’oeuvre contemplative d’un Kiarostami par exemple.
Patrick Braganti
A propos d’Elly
Film iranien de Asghar Farhadi
Genre : Drame
Durée : 1h56
Sortie : 9 Septembre 2009
Avec Golshifteh Farahani, Taraneh Alidousti, Mani Haghighi,…
La bande-annonce :