Aborder par le biais ou la marge un fait historique est en soi une bonne idée, une manière a priori originale de proposer un angle d’attaque inattendu et inhabituel. C.’est la démarche qu’a suivie Ang Lee pour son dernier film Hôtel Woodstock. Ainsi le réalisateur taîwanais choisit-il de traiter, par le petit bout de la lorgnette, la fameuse manifestation musicale, dont on fête cette année le quarantième anniversaire, qui changea la vie de toute une génération.
Le personnage principal autour duquel s’articule Hôtel Woodstock s’appelle Elliot Tiber et le plus étonnant est qu’il existe réellement. Le film est donc une adaptation de son propre livre, lui-même racontant les jours qui précédèrent le début du festival hippie et l’engrenage des péripéties qui conduisirent un décorateur new yorkais revenu vivre chez ses parents à devenir la cheville ouvrière d’un événement, dont personne ne supposait alors quel retentissement il allait avoir. Personne, sauf sans doute le jeune Michael Lang, , manager visionnaire, et dans une moindre mesure les parents juifs d’Elliot, englués dans les dettes, harcelés par le banquier local qui ne croit guère à la rentabilité de leur motel décrépit et désert.
Pour Elliot et sa famille, la défection d’une bourgade voisine qui devait recevoir le festival va être l’occasion en or d’un bouleversement total. Outre que l’arrivée de milliers de jeunes épris de liberté sexuelle et de musique rock sera synonyme d’un rapide et important enrichissement, elle permettra aussi au jeune Elliot, un gay plutôt coincé sous la coupe d’une mère autoritaire, de prendre son envol. Ang Lee fait donc de Woodstock un instrument d’émancipation pour un jeune homme gentil et assez fade et, du coup, ne met pas en scène un film sur ce que fut réellement le festival. Tout juste percevons-nous des effluves de sons lointains, les vagues d’une marée humaine ondoyant sous les rythmes syncopés et les effets des drogues. Le réalisateur de Lust, Caution se place résolument en amont, expose les prémices puis les tractations à coups de paquets de billets, qui suscitent bien des intérêts et des convoitises, tandis que les premiers festivaliers arrivent sur les lieux. Cette partie de Hôtel Woodstock est plutôt réussie par sa drôlerie et son lot de personnages farfelus que le réalisateur délaisse bizarrement.
Mais Ang Lee ne maintient pas le cap. A la disparition de Michael Lang et ses sbires, il préfère filmer – en split screen dont il abuse franchement – des cohortes de figurants chevelus, à moitié nus, pacifistes et cool (c’est bien sûr l’expression favorite du film) se rendant sur la colline historique. Le film devient dès lors une succession de clichés, dont le trip à l’acide d’Elliot dans un van constitue l’apothéose, et peine à exprimer l’ambiance de folie qui régnait alors. Quelques glissades sur un terrain transformé en bourbier par la pluie ne suffisent certes pas à faire ressentir l’esprit de totale liberté qui plane alors sur Woodstock. A l’image des festivaliers pataugeant dans la gadoue, Hôtel Woodstock s’embourbe lui-même.
l’interrogation surgit à notre esprit sur les véritables motivations du réalisateur. Beaucoup plus qu’une évocation, même personnelle, de Woodstock, le film peut se voir comme la trajectoire d’un jeune homme qui parvient à s’affranchir de sa famille et à gagner son indépendance, alors qu’à cette époque, la jeune génération, qui constitue , majoritairement le public, s’est déjà octroyé une totale autonomie, réfutant toute forme d’autorité. En ces quelques jours d’août 1969, Elliot passe d’une époque à une autre et participe à l’élargissement du fossé générationnel qui parcourt le pays, divisé notamment sur la guerre au Vietnam et sur les questions des moeurs.
Développant une esthétique aux couleurs acidulées – qui rappelle celle de Harvey Milk – Hôtel Woodstock se laisse regarder sans véritable déplaisir. Les comédiens sont épatants, et le film suffisamment éparpillé pour que l’ennui ne guette pas. Néanmoins, parce qu’il est aussi trop long et n’évite pas la répétition, il échoue à nous captiver totalement. Le souffle psychédélique et libertaire n’arrive jamais jusqu’à nous. On ne dépasse jamais ici le cadre du divertissement et de l’anecdotique et il n’est même pas acquis que l’effet nostalgie joue complètement. Sympa et modeste, mais vite oublié aussi.
Patrick Braganti
Hôtel Woodstock
Film américain de Ang Lee
Genre : Comédie dramatique
Durée : 2h00
Sortie : 23 Septembre 2009
Avec Emile Hirsch, Demetri Martin, Liev Schreiber,…
La bande-annonce :