Katalin Varga, coup de poing venu d’Europe de l’Est, s’impose déjà comme l’un des chocs cinématographiques de l’année, faisant la peau à Antichrist de Lars Von Trier en réussissant à maintenir une tension psychologique et sexuelle insoutenable là où le cinéaste danois se vautrait dans le trop-plein.
Ours d’argent au dernier festival de Berlin, et malgré cela distribué dans un brouillard médiatique total, le film de Peter Strickland prend des allures chamaniques et impose avec force et sensualité un duo de personnages dont on est loin d’oublier les visages et les expressions de terreur profonde. Katalin Varga saisit dans un élan primal la peur et la douleur du lien familial, du rapport au sexe et à la nature. La représentation presque naturaliste de chaque être, déambulant dans un univers originel composé de forêts sombres et de villages abandonnés, les accents bibliques plus suggérés que symbolisés, oeuvrent au final pour créer cette évolution psychologique et géographique. Road-movie du silence, thriller haletant, chasse intime, Katalin Varga déploie ses perspectives pour n’en former plus qu’une : celle d’une expédition sans fond au centre de l’être féminin.
Les paysages se découvrent sous de vibrantes dissonances musicales relayées par des voix christiques mais caverneuses. La mythologie du cauchemar et les divinités supposées planent sourdement tout au long du récit, comme si le danger immatériel, imprévisible, guettait cette femme et son fils en quête de liberté, et par-là même de justice. Recroquevillée dans un mysticisme hypnotisant, jouant des couleurs froides et des contrastes entre les HLM grises des banlieues et les forêts d’émeraude recouvertes du noir de l’âme humaine, cette oeuvre révélatrice des maux de la condition féminine des pays de l’Est en dit beaucoup plus que d’ennuyeux discours didactiques, et cela parce qu’elle surprend et dérange (l’héroîne a le visage exaspéré d’une femme maltraitée qui a trop vécu, et la seconde d’après, maquillée, aguicheuse, celui d’une séductrice empoisonnée qui cherche vengeance), quelque part entre le naturalisme cruel et les merveilles légendaires.
Il faut se laisser bercer par ces mots magnifiques, ces notes enivrantes, par Hilda Peter, actrice phénoménale qui joue avec son corps et son visage le mal-être du monde. Il faut accepter l’hypnose et la déroute, pour que surgisse de manière flamboyante cette douleur qui nous étreint au plus profond. La dérive devient, grâce à une mise en scène d’une intelligence rare, une fatalité qui se traduit par des cadres de plus en plus abstraits. Dans la misère se clôt ce chapitre étonnant et pessimiste de la chair des femmes. Et puis l’on pénètre dans cette forêt d’effroi, habitée par les cris sourds et suffocants des martyrs de tous temps. Comme chez Von Trier, mais cette fois sans aucune once de lumière, juste un néant sombre qui nous engloutit.
Jean-Baptiste Doulcet
Katalin Varga
Film roumain de Peter Strickland
Genre : Drame
Durée : 1h24
Sortie : 7 Octobre 2009
Avec Hilda Peter, Tibor Palffy, Norbert Tanko,…
La bande-annonce :
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