Où quand le simplisme se confronte à la complexité, celle des institutions comme celle d’un art avant tout corporel travaillant sur l’élasticité et la malléabilité des corps.
Frederick Wiseman, reconnu pour être l’un des plus grands documentaristes de son temps, investissant tous les grands établissements pour en décortiquer les fonctionnements et les livrer au public, a ici voulu saisir l’essence même du corps humain et son mouvement – pour ne pas dire son trajet – à travers la danse. Tâche quasiment impossible puisque l’oeil de la caméra devient, tel l’oeil humain, un capteur que chacun perçoit avec ses propres , sensibilités. La représentation pourtant très académique et dénuée de grâce qu’offre la mise en scène de ce documentaire d’un ennui théorique ne fait qu’affirmer qu’à ce jour il n’a pas été donné à ceux qui s’y sont attelés de montrer la beauté du corps humain dans la recherche du perfectionnisme et de l’émotion.
La Danse part du principe déjà douteux de tout filmer sans rien faire d’autre que de montrer, avec fatigue et exténuement, ce que les autres ne pourront pas voir ; mais comment peut-on montrer, saisir et mettre en place de tels trésors de complexité, de tels entremêlements administratifs, de telles sensibilités compliquées et insaisissables sans jamais qu’un mot n’apparaisse ? La simplicité tourne à la fumisterie ; aucun documentaire ne peut se prévaloir d’avoir saisi un système sans jamais en expliquer les arcanes et les évolutions. La Danse se présente donc comme un enchaînement de cours, entrecoupés par quelques détails (la cantine, mais pas les Rats de l’Opéra…), de quelques fragments de dialogues sur le vif d’une directrice terre-à -terre et divinisée sur son trône de reine rigide, mais surtout, de représentations, de spectacles grandioses. Mais que fait Frederick Wiseman sinon autre chose que filmer des processus déjà établis ? Filmer ce qui est déjà organisé à finalité de spectacles appartient-t-il à la mise en scène ou participe-t-il d’une mise en abyme ? Même si on frôle parfois le vertige dans d’impressionnantes séquences de ballets qui prennent l’allure d’un thriller parce qu’elles s’incrustent dans un déroulement quotidien, le film peine à exprimer la sublimation des corps dans l’exercice magnifique et transcendantal de leur discipline.
Le réalisateur de Domestic Violence en déduit que l’absence de précision dans les cadrages mobiles qui épousent les mouvements offre l’objectivité des corps là où il n’y a qu’une évaporation des masses et des grâces humaines. Filmer un corps global constitue un danger car c’est soit une richesse qui appartient à qui la saisit – dans un ensemble et un montage savamment construits – ou bien une indigeste réduction, comme l’on résume parfois des phrases essentielles en deux mots-clés. Où aboutira cette danse aux confins de l’ennui, mystique et soporifique à la fois, puisque l’on ne sait jamais où le documentaire nous amène, en dehors des sentiers informatifs ou esthétiques? Peut-être nulle part ailleurs que dans cette recherche vaine de la perfection et de l’extériorisation qui cloue au sol chaque intention dans une stérilité et un ennui terrible. Seule ici est vraie et palpable la retransmission de la danse qui se fait dans cette attitude de danseur que Frederick Wiseman adopte : les voies de la perfection sont infinies.
Jean-Baptiste Doulcet
La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris
Film français de Frederick Wiseman
Genre : Documentaire
Durée : 2h38
Sortie : 7 Octobre 2009
Avec Brigitte Lefèvre, Emilie Cozette, Aurélie Dupont,…
La bande-annonce :
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