Acteur fétiche d’Arnaud Desplechin, le comédien Emmanuel Salinger passe derrière la caméra et réalise La Grande vie, comédie rythmée faisant se confronter deux milieux qui ne se côtoient guère et qui ne s’apprécient pas davantage.
D’un côté, le milieu intellectuel incarné par Grégoire, prof de philosophie, censé représenter la pensée, la profondeur d’esprit et la défense des vraies valeurs, de l’autre Patrick, célèbre vedette du petit écran animant un talk-show superficiel et ostentatoire, emblématique du microcosme médiatique, friqué et inconsistant, influent et dérisoire. Si les circonstances qui prévalent à la rencontre sont assez échevelées, le reste de l’histoire traitée sur le mode de la juxtaposition de deux individus, source de quiproquos et de retournements de situations, se laisse approcher sans déplaisir.
Plusieurs scénaristes – cinq au total, dont le prolifique Pascal Bonitzer – se sont penchés sur le berceau de La Grande vie. Cette multiple écriture devient plus un handicap qu’un bienfait, tant le film apparaît décousu et aborder des sujets différents, de manière peu approfondie. A chaque quart d’heure, la narration opère des bifurcations, embraie sur de nouveaux développements en oblitérant les précédents. Ancien étudiant en philosophie, rompu lui-même à l’écriture de scénarios, Emmanuel Salinger dessine beaucoup plus sûrement et avec subtilité les contours de Grégoire que ceux de Patrick. Malgré ses velléités de devenir écrivain, son appartement envahi par les livres, mais aussi par Monsieur Kowalski, un expulsé qu’il héberge, le prof de philo, interprété par le peu connu Laurent Capelluto, constitue un personnage sympathique et attachant. A l’inverse, joué par un Michel Boujenah, cabotin qui en fait des tonnes, l’animateur télé aligne tous les poncifs inhérents au genre, : à peu près inculte, pété de fric, marchant à la cocaïne et au champagne. Et une fois encore, le grand écran ne parvient pas à restituer sans caricature le monde du petit, surlignant la laideur des décors et l’artifice des relations.
Néanmoins, les piques se répartissent à quasi équité envers les univers intellectuels et médiatiques. La figure du jeune bellâtre, auteur à succès, pimente la vision enjolivée du monde des lettres comme l’impossibilité pour Grégoire à noircir ses pages l’amène à plus de modestie et à réviser ses ambitions. Souffrant d’une issue prévisible sur l’évolution des protagonistes et abrupte dans sa forme, La Grande vie réussit mieux sa partie médiane, dans l’accélération des événements et l’interpénétration grandissante des deux mondes, cadencée par les allers-retours des TGV.
Irrégulier et hétéroclite, en abordant trop de thèmes, La Grande vie demeure une petite comédie enjouée et parfois douce-amère, souvent gâchée par une bande-son qui ponctue sans nécessité le tempo effréné de l’ensemble. On surveillera donc de près la deuxième tentative d’Emmanuel Salinger pour affiner une opinion que l’on souhaite plus positive et favorable.
Patrick Braganti