Quoi de plus approprié que le cinéma, art de la manipulation et des faux-semblants par nature, pour rendre compte d’un fait divers réel – il y a une dizaine d’années – reposant sur l’escroquerie et la duperie. A voir A l’origine, le nouveau film de Xavier Giannoli, l’évidence du postulat en est encore renforcée. C.’est donc le véritable parcours d’un escroc solitaire et sans grande envergure que le réalisateur de Quand J.’étais Chanteur met en scène en investissant une multitude de champs. Tour à tour documentaire, thriller, film social et épopée personnelle d’un homme qui s’ouvre au monde, A l’origine voit large et grand, à l’image de ses plans, merveilleux hommages offerts aux populations qu’il filme. En effet, nous sommes quelque part dans le Nord où l’arrêt du chantier de l’autoroute locale a plongé les habitants de la bourgade dans le désarroi et la misère. Le chômage et l’absence de projets ont remplacé les contrats de travail et les perspectives d’un dynamisme retrouvé.
Lorsque Paul, rebaptisé Philippe Miller, élabore par hasard son arnaque incroyable (en se faisant passer pour un chef de chantier missionné pour la réouverture des travaux), il ne s’imagine certes pas les conséquences que sa minable activité va produire aussi bien sur la communauté désespérée, prête à s’enflammer collectivement pour la promesse d’un avenir plus radieux, que sur lui-même. Loin des escrocs beaux parleurs et enjoliveurs, Philippe Miller se singularise par ses doutes et ses attitudes de retrait permanent, comme toujours prêt à prendre la fuite, de plus en plus étonné et angoissé par les répercussions irréversibles qu’il entrevoit. François Cluzet, qui trouve là incontestablement son plus grand rôle, excelle à exprimer cette angoisse intériorisée face à un engrenage d’événements qui le dépassent. Le petit aigrefin, vénal et sans états d’âme, repassant avec soin ses billets de banque, devient un dieu local, la planche de salut inespérée pour une grappe d’individus à nouveau unis et solidaires, menés par la maire de la ville, pour qui la politique consiste avant tout à aider ses concitoyens et à leur proposer des solutions concrètes.
Comment un salaud banal – dont rien du passé ne nous est dévoilé – affronte t-il l’espérance qu’il engendre malgré lui, la naissance d’un amour imprévu au programme. De la fuite d’abord envisagée, Philippe Miller marche ensuite vers sa rédemption et l’accomplissement intégral d’un projet fou, : construire une parcelle d’autoroute menant nulle part. Xavier Giannoli file ainsi la métaphore du cheminement initiatique et fondateur, : plus que l’objectif visé, c’est en premier la voie et les moyens empruntés pour y aboutir qui sont essentiels.
La dignité, perdue et regagnée, constitue le fil directeur de l’oeuvre du cinéaste des Corps impatients. Avec A l’origine, il franchit indéniablement une étape importante en réalisant un film ambitieux et prenant de bout en bout, ne se relâchant jamais. Xavier Giannoli transforme un chantier (avec ses machines monstrueuses et ses mètres cubes de terre transvasée) en une prodigieuse scène de cinéma. Sous des ciels tourmentés, en longs travellings, le ballet des grues et des ouvriers, comme l’explosion d’une canalisation, devient un moment de pur cinéma. l’attention délicate et respectueuse n’est cependant pas portée uniquement vers les machines tant le réalisateur entoure tous ses personnages, principaux comme secondaires, de la même bienveillance. Dans La Raison du plus faible, le belge Lucas Belvaux manifestait une sincérité identique et empathique d’approche et on sait par ailleurs combien la question de la rédemption intéresse les frères Dardenne.
A l’origine vous happe dès le début pour ne plus jamais vous laisser respirer. Sans jamais sombrer dans la démonstration ou le message facile, le film ne néglige pour autant aucun détail. Montage remarquable, interprétation habitée sur laquelle plane la rareté de la grâce et de l’incarnation, ample et romanesque, nous tenons là un des meilleurs films français de cette année (et une fois de plus, nous restons perplexes sur son absence de récompense à Cannes »)
Patrick Braganti
A l’origine
Film français de Xavier Giannoli
Genre : Drame
Durée : 2h10
Sortie : 11 Novembre 2009
Avec François Cluzet, Emmanuelle Devos, Gérard Depardieu, Vincent Rottiers,…
La bande-annonce :