Il paraît quasiment nécessaire d’apprécier les travaux filmiques de Terry Gilliam avant de traverser le miroir de sa nouvelle expérience, mélange de magie et de film fantastique lumineux duquel émanent les morales propres au cinéaste. Sans renier son univers complètement barré où se mêlent distorsion du temps, étranges monstres et décors hallucinatoires, Terry Gilliam fait de l’Imaginarium du Docteur Parnassus son oeuvre peut-être la plus cohérente, paradoxalement.
Malgré les nombreux problèmes encourus lors du tournage, le récit fabriqué (car il s’agit d’un film plus fabriqué qu’il n’est réalisé, au bon sens du terme), pétri des mains de l’artiste, semble prendre une forme beaucoup plus accessible que précédemment. Å’uvre sculptée, terriblement tendre dans ses contours imparfaits, pleine de cynisme, L’Imaginarium du Docteur Parnassus ouvre les portes de différents mondes, tous beaux à croquer ; on a presque l’impression de voir dans certains décors psychédéliques des zones neurologiques du cinéaste, comme s’il appliquait à l’image tous les délires qui peuplent son inconscient, quitte à repousser les limites du l’impossible et de l’irréalisable. Le résultat est affolant d’inventivité, étrangement rythmé et monté car le décès d’Heath Ledger en plein tournage imposa une refonte totale du récit et de bizarres bouées de sauvetage à travers les apparitions d’acteurs caméléons (Jude Law, Colin Farrell, Johnny Depp au-delà du miroir). Histoire foutraque située entre Faust et Lewis Carroll, le film fait appel à un mélange des contes et des mythes pour créer son propre univers, parfois proche du Seigneur des anneaux autant qu’il peut appartenir à un langage inspiré par Tim Burton.
Pot-pourri étonnamment personnel au final, que le cinéaste alimente d’autocitations. Mais rien de narcissique non plus dans cet exercice merveilleux, ode aux infinies libertés du cinéma. Tout ce que cet Imaginarium pourrait malencontreusement être, il ne l’est pas, et c’est bien là que prend source l’effet Gilliam. Tout s’assemble comme les pièces d’un manège en bois, chorégraphie méticuleuse de pantins et de poupées pour un tour de magie aux accents fatalistes. La fin culmine jusqu’à l’émotion, destination amère d’un voyage à travers le temps et l’imaginaire. Beau moment de cinéma, L’Imaginarium du Docteur Parnassus est la renaissance d’un cinéaste majeur dans sa facilité d’empreinte et sa verve poétique, ouvert à une infinité d’équations mathématiques qui donnent avec toute la spontanéité qu’on lui connaît ce trajet enchanteur, kitsch et boisé, légende à lui seul dans lequel règne la joie des êtres humains et leur pouvoir commun.
Jean-Baptiste Doulcet
L’Imaginarium du Docteur Parnassus
Film français, canadien de Terry Gilliam
Genre : Fantastique, aventure
Durée : 2h02
Sortie : 11 Novembre 2009
Avec Heath Ledger, Johnny Depp, Jude Law,…
La bande-annonce :