On ne saurait trop remercier les éditons du Dilettante de remettre sur le devant de la scène des auteurs tombés dans l’oubli et qui ne le méritent pas. Après Gabriel Chevalier, Henri Calet, c’est au tour du Bordelais Forton, prétendant au Goncourt en 1957 avec cette Cendre aux yeux qui, cinquante ans après, impose encore sa force incroyable et distinguée. Autobiographie déguisée ou pas, l’auteur ne pourra jamais nous répondre.
Mais, raconté à la première personne du singulier, ce parcours intime dans la peau d’un oisif décidé à séduire l’impossible, semble dévoiler la propre existence de Forton. Trentenaire décidé à observer la société plutôt que de s’y insérer, méprisant au passage tout ce qui semble révéler des gens »honnêtes et droits » le héros du roman conchie les autres, se satisfait d’un quoitidien misérable qu’il évoque en noircissant les pages d’un journal presque intime. Mais qui manque de croustillant. Il se décide alors à endosser le costume trop grand pour lui du séducteur cynique, du chasseur de gros gibier qu’il adore malmener et faire souffrir, jusqu’à qu’il tombe sur une jeune proie, seize ans, dont il va tomber amoureux puis, par trop de faiblesse et trop de perversité, va la faire lentement glisser vers un terminus tragique.
Plus qu’un remake du grand Lolita de Nabokov, Forton dépasse rapidement le fait divers de moeurs pour proposer sa vision pessimiste d’un personnage qui sombre avec une étrange délicatesse dans la déchéance, et malheureusement, en y entraînant ceux qui n’ont rien demandé. Dans un style sec et cinglant, mais d’une élégance incroyable, il parvient à dresser le portrait attachant d’un cynique dégueulasse, le genre de pauvre type qui n’hésite pas à bousiller des vies pour donner un sens, même raté, à la sienne. Détonnant et étonnant, et résolument contemporain.
Jean-François Lahorgue
La Cendre aux yeux, de Jean Forton
Le Dilettante, 320 pages, 19 €¬
Date de parution : octobre 2009.