Kinatay aura forcément selon toute logique remué la Croisette, car évidemment il en faut. Brillante Mendoza, qui avait séduit le public avec l’émouvant John John, puis l’avait partagé et décontenancé avec Serbis (que je défends personnellement), enfile ici des gros sabots pour nous livrer ce qui semble être voulu comme une grande réflexion sensitive sur la violence et le pouvoir qu’elle occupe dans les sociétés défavorisées.
Pour ceci, Brillante Mendoza se fixe sur deux options : la durée, arbitraire et inhérente à chaque film, et le point de vue, élément plus crucial dans le monde du cinéma. Dans la continuité de la méthode jusqu’ici pratiquée par le réalisateur philippin, à savoir un filmage caméra à l’épaule qui, entre précision et approximation, prend le pouls de la ville, Kinatay opère malheureusement un virage fatal. Ce point de vue, minimaliste mais saisissant, est mis au service d’un fait sordide dont l’étouffant malaise et le glauque insurmontable sont surlignés par le dispositif de la caméra portée. Mais à notre plus grand désespoir, l’effet échoue sur toute forme de réflexion cinématographique ou morale car Brillante Mendoza ne sait pas ce que peut cacher tel sujet : il préfère l’abstraction (30 minutes nocturnes dans une fourgonnette de laquelle on n’entrevoit qu’ombres granuleuses et lumières de la ville) à la politisation. Qu’il choisisse d’aborder son histoire par le cadre des sensations plutôt que par le biais de la théorisation est son droit le plus strict : mais qu’il en fasse une seule et même scène qui semble s’étendre durant 1h50 dans de déplorables fabrications d’images est une facilité qui, elle, a de quoi laisser de marbre.
Seul le travail sur le son offre une perception étendue du drame, mais jamais lumière, attente ou acteurs ne peuvent animer cet enfer poisseux, plongé dans un mouvement paradoxalement immobile. Rien ne décolle, on attend les faits (l’effet?), les péripéties, mais rien d’autre que le temps qui passe avant que ne surgisse la monstrueuse séquence de viol et de dépeçage, d’une honteuse vulgarité. Kinatay n’apporte strictement rien au cinéma, ni dans sa volonté de création contemporaine, ni dans sa politisation cousue de fil blanc, ni dans sa réflexion faussement philosophique, et encore moins humainement, puisqu’il prend clairement en otage dans une position de voyeuriste le spectateur. Il n’apporte en rien la démonstration qu’un petit budget ne puisse être incompatible avec un grand film, mais à l’inverse un ennui profond, une prétention insupportable et une nausée persistante, avec la désagréable sensation que Brillante Mendoza a voulu bousculer les principes sans jamais pouvoir les réécrire lui-même.
Sa provocation connait des limites évidentes (ne serait-ce que formellement) : les lumières naturelles, les dialogues au cordeau et le temps réel, après avoir créé une atmosphère, finissent par se retourner contre le film ; Kinatay accuse une accumulation de parti pris rigoureux dignes d’un électrochoc de festival. Et il n’y a rien de moins naturel et bâtard qu’un film pensé dans le but d’un festival ; c’est bien là qu’Isabelle Huppert et son jury se sont trompés, en y voyant un film audacieux là où n’y a que de l’esbroufe vide de sens, dégueulasse et perfide du début à la fin.
Jean-Baptiste Doulcet
Kinatay
Film philippin de Brillante Mendoza
Genre : Thriller
Durée : 1h50
Sortie : 18 Novembre 2009
Avec Coco Martin, Julio Diaz, Mercedes Cabral,…
La bande-annonce :