Pour être tout à fait honnête, le cinéma des deux frères Coen ne m’a jamais vraiment passionné, à l’instar de celui de Quentin Tarantino par exemple. Truffés de référence, fonctionnant essentiellement sur le principe facile de l’entertainment, leurs longs-métrages, pour efficaces et agréables qu’ils soient, ne sont pas pour autant dépourvus d’un côté faiseur et fabriqué extrêmement dommageable. La vision de leurs derniers opus n’avait qu’accentué ce sentiment, : No Country for Old Men, certes ambitieux, ratait son objectif en versant dans la violence complaisante et dénaturant du coup l’esprit de l’auteur adapté (récurrence du sujet, : Cormac McCarthy massacré par les tentatives d’adaptation sur grand écran) et Burn After Reading, à l’absence d’inspiration , confondante, agaçait par la facilité de ses effets et l’installation de personnages caricaturaux de mauvais goût. Bref, je renâclais à aller découvrir la dernière production des réalisateurs de Barton Fink.
En quoi partir avec des a priori négatifs est en général le meilleur moyen d’avoir une bonne surprise. Et c’est bien le cas ici avec A Serious Man, film probablement le plus personnel de Joël et Ethan Coen, replongeant, à travers la vie de plus en plus poisseuse et catastrophique de leur héros Larry Gopnik, dans leur propre jeunesse et les fondements de leur trajectoire artistique. Sans tête d’affiche, ce qui n’exclut pas une interprétation brillante, entre autres de l’épatant Michael Stuhlbarg, déjà vu dans Afterschool, avec un budget modeste, les deux frères mettent en scène la vie calamiteuse d’un prof de physique en 1967 en attente de titularisation, affrontant son prochain divorce, élevant deux enfants peu reconnaissants, supportant la présence d’Arthur, son aîné incapable de s’assumer et passant son temps à noircir d’énigmatiques cahiers de symboles de la cabbale. Car oui, petit détail qui a son importance, Larry Gopnik est juif, membre d’une communauté plutôt en décalage avec les aspirations d’une Amérique en pleine effervescence des trente glorieuses.
A Serious Man, c’est la déveine érigée en art, en philosophie de l’injustice. Le pauvre Larry voit progressivement sa vie s’effondrer et tente d’obtenir un soutien auprès de trois rabbins successifs, : le premier, un jeune aux théories fumeuses, le deuxième qui lui délivre une étrange histoire de dentiste et le troisième qui refuse simplement de le recevoir. Tout ceci regorge d’inventivité et d’humour corrosif dont la principale cible est d’abord la collectivité juive. Loin du carcan hollywoodien, A Serious Man se permet aussi quelques libertés formelles particulièrement réjouissantes à l’image de la séquence d’ouverture, audacieuse et presque incongrue, sinon qu’elle porte en elle les germes de l’histoire à venir. Joël et Ethan Coen sont ainsi capables de créer en quelques plans des fictions parallèles à la narration qui les occupe, que ce soit pour illustrer les rêves subliminaux de Larry ou encore sa troublante aventure avec une voisine plantureuse. Alors qu’est célébrée la bar-mitsva de Danny, le fils de Larry, semblant marquer le retour à la normale, de nouveaux nuages se profilent à l’horizon »comme une ultime pirouette que s’offrent les deux cinéastes.
Film très personnel, librement inspiré des propres souvenirs des réalisateurs, A Serious Man fonctionne à la fois grâce à une bonne dose d’humour et de dérision appliquée à soi-même et grâce au surgissement inattendu d’une véritable émotion dans un mariage parfait du sérieux et du loufoque. Plus Larry, dont on découvre au fur et à mesure la richesse et la complexité, voit le sol se dérober sous ses pieds, plus on est sous le charme d’un film réfléchissant de manière si intelligente et sans certitudes sur ce qu’est la judéité.
Patrick Braganti
A Serious Man
Film américain de Joel et Ethan Coen
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h45
Sortie : 20 Janvier 2010
Avec Michael Stuhlbarg, Sari Lennick, Richard Kind,…
La bande-annonce :