A Single Man

singleman.jpgLe tic-tac incessant d’une montre donne le rythme à  ce film lancinant comme une aiguille qui tourne. George Falconer, homosexuel, professeur dans une université, a perdu son amour il y a maintenant huit mois. A la nuit tombée, il se tuera. C’est du moins son but, à  moins que les éclats lumineux d’une journée, à  priori comme les autres, ne viennent contredire ses plans.

Il y a dans le film de Tom Ford un refus total d’action et de mouvement. George, encerclé par un quotidien morne, s’échappe à  partir de quelques visions paradisiaques. Parler à  un élève avec lequel il va revivre des scènes sentimentales perdues, embrasser un chien à  l’odeur de toast beurré, admirer la fille de la voisine en jupette bleue, se laisser draguer par un beau latino, dîner avec la femme frustrée qui l’a toujours aimé… « A single man » ne tend pas à  démontrer autre chose qu’une journée comme les autres, mais parvient à  transcender le banal et le prévisible en accentuant la beauté des gestes simples qui peuplent nos vies, ainsi rendues exceptionnelles.

Filmé comme sur du papier glacé, avec un grain qui rappelle les nostalgiques photos des années 60, le talent visuel de Tom Ford domine l’ensemble d’un film bouleversant de simplicité. La volupté et la grâce humaine et visuelle du film est d’une rare beauté, d’une souplesse élégante qui en fait un pur ravissement pour l’œil et pour l’esprit. Car plus que de n’être qu’un simple défilé de jolies choses, « A single man » est une ode sensible à  la chair masculine. La liberté des corps languis et la virilité y sont de véritables poèmes défilant parmi la beauté rivale des femmes. Entre les sexes, comme un rappel charnel au détour de chaque scène, la mort créée une forme de séduction plus rassurante qu’angoissante. Apaisé, le personnage part en quête d’une vérité inconnue avant d’abandonner, voyageant dans les méandres d’une réalité qu’il a déformée par la douleur de la perte.

« A single man » est certainement un grand film pour la simple raison qu’il en dit très peu. Tout le drame se joue à  travers un subtil surréalisme (ou bien n’est-ce pas simplement ce que nos yeux ne savent pas voir?) et de nombreuses symboliques (lorsque le bonheur est retrouvé, la montre s’arrête de donner le temps). Il y a bien sûr une stylisation extrême dans le regard que porte le cinéaste, mais celle-ci est valorisée par le désir d’une certaine forme de retenue. La pudeur que Tom Ford donne à  voir est tout à  fait précieuse puisqu’elle évite au film de sombrer dans l’esthétique toc et chargée. Et malgré le soin apporté à  chaque plan et à  chaque séquence, aucune raideur ne vient contredire la sensibilité du récit, toujours bercé dans un calme exaltant. De douces notes de musique accompagnent simplement les divagations de George, porté par la grâce hypnotique de Colin Firth dans son meilleur rôle.

Extrêmement sensuel, le film contient même la capacité à  former une substance singulière ; en traitant le profil homosexuel comme une notion d’invisible, Tom Ford exécute ainsi un puissant contraste entre les errances fantomatiques de la routine et les traits de lumière qui surgissent de l’inattendu, qu’il soit fait de désir ou d’amitié, de vibrants souvenirs ou d’espoir. Plus l’heure fatidique approche, plus le film s’embrase dans des teintes solaires comme un crépuscule au bord des plages. Avant l’effondrement, la lave du désir s’écoule doucement, sûrement, dans un final d’un érotisme et d’une retenue magistrales. Puis le fantôme de l’être aimé arrive, froidement vertical, de noir vêtu, poli et ciré, un sourire au coin des lèvres. Un baiser se dépose sur la bouche molle de l’agonie. Le défunt repart, confiant. Comme la promesse d’un nouveau jour, là  où il n’y aura plus que des éclats de lumière.

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Jean-Baptiste Doulcet

A Single Man
Film américain de Tom Ford
Genre : Drame
Avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult…
Durée : 1h40 min
Date de sortie cinéma : 24 février 2010

2 thoughts on “A Single Man

  1. Je partage totalement ta critique Jean Baptiste. Il y a une magie dans ce film qui rappelle dans sa retenue, dans son élégance celle de « In the mood for love »…
    Ca ressemble plus à un film anglais qu’américain. Colin Firth est bouleversant dans ce mélange de retenue très british et une interprétation toute en sensibilité.
    Dilatation du temps dans une journée intensément chargée du passé mais aussi du présent… car ce n’est pas une nostalgie qui meut le personnage principal contrairement au personnage féminin (…là aussi second rôle magnifiquement interprété par Julianne Moore).
    George ne peut et ne veut simplement plus vivre dans ce silence, cette absence de l’être aimé…La journée sera l’occasion « d’éprouver » ce présent au sens propre et au sens figuré sa détermination.
    La dernière séquence est un chef d’oeuvre. Un ange gardien sera placé sur sa route dans cette épreuve … et Tom Ford de nous faire voyager des « ailes du désir » tant la poésie est présente… à « match point » tant le final témoigne de la fragilité du vivant.

  2. Je partage totalement ta critique Jean Baptiste. Il y a une magie dans ce film qui rappelle dans sa retenue, dans son élégance celle de « In the mood for love »…
    Ca ressemble plus à un film anglais qu’américain. Colin Firth est bouleversant dans ce mélange de retenue très british et une interprétation toute en sensibilité.
    Dilatation du temps dans une journée intensément chargée du passé mais aussi du présent… car ce n’est pas une nostalgie qui meut le personnage principal contrairement au personnage féminin (…là aussi second rôle magnifiquement interprété par Julianne Moore).
    George ne peut et ne veut simplement plus vivre dans ce silence, cette absence de l’être aimé…La journée sera l’occasion « d’éprouver » ce Présent au sens propre et au sens figuré, et d’évaluer sa détermination.
    La dernière séquence est un chef d’oeuvre. Un ange gardien sera placé sur sa route dans cette épreuve … et Tom Ford de nous faire voyager des « ailes du désir » tant la poésie est présente… à « match point » tant le final témoigne de la fragilité du vivant.

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