L’Histoire veut que l’on ait oublié le sort des Tsiganes lors de la Seconde Guerre Mondiale. Tony Gatlif, humaniste hors-pair, sort de l’ombre l’épopée persécutée de ces voyageurs au coeur d’or en contant le point de rencontre entre une de ces familles ambulantes, une institutrice et un vétérinaire dans un village de France sous l’occupation.
« Liberté » repose sur l’alchimie entre deux cultures, deux modes de vie qui ne peuvent fonctionner ensemble.
D’un côté le peuple nomade qui prône une enfance triomphale et décomplexée des valeurs sur l’échelle du pouvoir entre enfants et adultes, tandis que les villageois (les bons ou méchants) veulent prouver l’efficacité d’une éducation ancrée dans les principes républicains. C’est lorsqu’il porte l’attention entre deux mondes que Gatlif est touchant. Scène pivot du film, la furie du cheval vient établir aux yeux du vétérinaire (belle prestation de Marc Lavoine) l’admiration pour ces tsiganes qui arpentent les terres comme des fantômes joyeux.
D’un autre côté, Taloche, grand enfant bohémien qui perd la tête, se retrouve à l’école pour parfaire une éducation qui n’est pourtant pas la même. Incompatibilité ; c’est les cordes du violon fou qu’il veut apprendre encore plus. James Thiérrée campe ce personnage de dingue dans les étoiles, utilisant son corps comme un feu d’artifices de mouvements absurdes que Gatlif restitue intact dans une triste réalité historique. Son film a certes des saveurs de liberté, d’ailleurs, de frontières repoussées, ces jolies choses qui rendent un film plus beau qu’un autre, son traitement n’en est pas moins extrêmement académique si l’on excepte quelques scènes de traditions qui sonnent décalées par rapport à cette vision que nous nous faisons (et que le cinéma nous offre) de la Seconde Guerre Mondiale.
Finalement, Gatlif abandonne vite la vibration de la vie pour une grande partie désespérée sur la fatalité et l’amertume de voir toutes les bonnes actions sans aboutissement possible face au Mal. Alors qu’il s’adonne à une créativité réjouissante, le cinéaste finit par s’interroger ni plus ni moins sur les séquences imposées du genre. Son film en devient soudainement gris, plombant, troquant ses chaudes couleurs contre une campagne encerclée de grisaille. L’académisme devient l’issue ; traître collaborateur, camp de concentration, arrêt des figures héroîques et patriotiques par l’armée allemande… toute l’âme du film se perd dans cette partie dominante en totale contradiction avec le titre. Concernant la question de la mise en scène, la liberté se fait rare et Gatlif opte pour un enfermement qui a raison de son film au profit du classicisme et du consensus. On ne peut pourtant pas lui reprocher de s’être écarté de cette réalité, car celle des déportés, de quelque nationalité soient-ils, se nomme Horreur, et il est d’une forme de décence première que d’avoir voulu respecter et imager celle-ci sans la sur-dramatiser.
« Liberté » est en tout cas une oeuvre, aussi inégale soit-elle, sur les regrets d’une liberté perdue. Comme le chien de l’ennemi que le vétérinaire soigne par bon coeur, avant de le revoir passer, sournois, suivant hâtivement son maître alors que l’homme est cette fois devenu impuissant.
Jean-Baptiste Doulcet
Liberté
Film français de Tony Gatlif
Genre : Drame
Durée : 1h51 min
Avec Marc Lavoine, Marie-Josée Croze, James Thiérrée…
Date de sortie cinéma : 24 février 2010