« Shutter Island » est une nouvelle fois la preuve que Martin Scorsese est l’un des derniers monstres sacrés du cinéma américain, et que sa muse Di Caprio a tout d’un acteur mythique et représentatif d’une génération qu’il a véritablement entamée avec »Gangs of New York ».
Avec cette oeuvre sombre et torturée sur la folie humaine, Scorsese vise une démesure flamboyante dans son cinéma, un peu plus replié sur lui-même et peut-être plus lucide lorsqu’il aborde les fictions par le biais des réalités historiques. Le plus marquant ici est l’importance accordée aux décors, et la façon dont chaque mouvement, chaque axe de caméra peut jouer en sa faveur. Scorsese évolue de manière très précise ; son cinéma se fait de plus en plus le vecteur d’une âme plongée dans les conséquences de l’Histoire, et sa réalisation gagne en intimité et en mesuration ce qu’elle perd en déchaînement. Mais paradoxalement, la virtuosité se ressent d’autant plus, qu’elle soit présente dans la justesse des choix de placement de la caméra ou dans le point de vue posé sur les personnages. La raison de cette virtuosité psychologique provient du fait qu’aucun élément ne peut être négligé de façon à ce que chacun ait une raison d’être. Ainsi les personnages les plus obscurs et rares ne sont pas de simples remplissages, et les détails anodins prennent une consistance surprenante lors de la fin (qui s’emboîte comme un puzzle enfin révélé). Tout fait désormais sens dans la mise en ombre qu’effectue le cinéaste.
Son scénario (signé Laeta Kalogridis), d’une complexité quasi-insoutenable et d’une richesse multiple sur plusieurs niveaux, apporte au regard une véritable mise en abîme de l’être humain »Shutter Island » au-delà de son magnétisme cinématographique et de son traitement magistral de la substance visuelle, est un grand film psychanalytique. Dans de nombreuses traductions, Scorsese utilise le basculement progressif vers une révélation inattendue. Le film commence comme une enquête, exigeante dans le sens où elle ne laisse rien s’échapper, puis, peu à peu, finit par renverser la sensation que renvoie les personnages. Grâce aux flash-backs des horreurs de la guerre, ou de scènes de rêves où le personnage de Teddy se réinvente un idéal quant à sa réalité, on perçoit une deuxième face dans un seul et unique visage. On ne peut véritablement parler du film sans en révéler la fin, mais la dimension Freudienne de l’île (où l’homme, abandonné à son propre enfer, est abandonné) prend part comme si l’on naviguait dans le cerveau déstabilisé de Teddy. Les falaises renvoient quant à elles la sensation d’une mentalité boîteuse, et les grottes qui peuplent l’île le refuge du subconscient. Seule issue pour le personnage du Marshal, l’abandon au rêve, où se mêle d’étranges visions paradisiaques et colorées sans que l’on sache véritablement où se trouvent la réalité et le fantasme. Les flash-backs, eux, relèvent d’un fil conducteur qui amène jusqu’au sommet du film (que l’action se déroule alors dans le mystérieux phare qui surplombe l’île n’est bien sûr pas anecdotique).
L’autre talent indéniable que l’on saura reconnaître à Scorsese dans ce film, c’est qu’il tente une excursion dans le récit labyrinthique tout en admettant que l’action se passe historiquement lors d’une période complexe, soit après la Seconde Guerre mondiale et pendant la Guerre Froide, l’ère de la méfiance et des complots. Ainsi le cinéaste joue avec nos nerfs, entre la possibilité réaliste d’une énorme conspiration et la piste fictive d’une enquête qui mènera aux tréfonds de l’âme. Scorsese aime nous faire croire, jouer sur les cordes du passé, et c’est comme cela que le film se délite progressivement, perd sa forme originelle et divague dans différentes pistes qui mèneront à une toute autre résolution.
Son film, terriblement oppressant et d’une monstruosité clinique, dérange de par sa représentation très codifiée de la folie, et déroute dans un aspect formel qui prend un malin plaisir à s’éloigner des normes. La mixité entre fantasme et réalité dans un même espace devient pour le spectateur une forme accentuée de stress, ce que la texture de l’image, la couleur et la rigidité de ces lieux infernaux rendent à merveille. Qu’il s’agisse de cellules cachées dans des caves suantes, de falaises inondées de rats ou de l’escalier vertigineux du phare, chaque endroit contient une ressource visuelle phénoménale. C’est de là que provient en partie la puissance du film, ainsi que dans son interprétation rigoureuse et d’une grande efficacité. DiCaprio prouve son statut d’acteur mûri et se place définitivement en tête des grands comédiens de sa génération. Mark Ruffalo est lui aussi impeccable de sobriété, et Ben Kingsley terrifiant de mystère »Shutter Island » devient plus qu’un beau film maîtrisé, il est la preuve que le cinéma dit d’ ‘action’ peut contribuer à un travail psychologique raffiné et à une subtile ouverture psychanalytique.
Tenu sans cesse par des idées de génie (perversion extrême quand le pyromane à l’origine du drame personnel de Teddy vient lui allumer langoureusement sa cigarette avec une allumette), »Shutter Island » est le film obsédant de Scorsese, une oeuvre pleine et sans fonds, lutte sans merci de l’homme contre sa propre folie, ce qu’elle peut engendrer comme ce qu’elle peut détruire.
Jean-Baptiste Doulcet
Shutter Island
Film américain de Martin Scorsese
Genre : Thriller
Durée : 2h17 min
Avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley…
Date de sortie cinéma : 24 février 2010
Un film qui fait honte à Scorsese, qui semble perdu quand il n’a pas son chef-op habituel (Michael Ballhaus : Casino, After Hours, Le Christ et Les affranchis).
Le verdict est simple: Scorsese n’a pas filmé une rue contemporaine depuis 30 ans, il est prisonnier de ses producteurs eux même prisonniers des minettes qui viennent voir Léo Di Caprio (dans la salle, il y avait trois-quart de filles seules) et surtout, ce film, adapté d’un roman bateau est un film bâclé. Et Scorsese lui même s’en fout, puisqu’il ne fait pas d’entretien et qu’il préfère (il le dit lui-même) rattraper ses manques en littératures, à l’approche de la vieillesse. Il fait Shutter Island, comme Spielberg fait Jurassic Parc 2, ou comme Aznavour reprend ses chansons en jazz ! Une catastrophe non assumée…