C.’est la rencontre du mot » gift » ou » dosis » en grec, signifiant à la fois le don et le poison, qui a donné à Cyril de Gasperis, l’idée de réaliser ce premier long-métrage. Comment en effet, s’est interrogé le cinéaste, ces » deux sens si antinomiques peuvent-ils être réunis dans un même terme » ? C.’est pourtant bien le sujet central du film.
La jeune Félicia (Cécile Coustillac) est l’auxiliaire de vie d’Anna, (Liliane Rovère), une femme d’une soixantaine d’années, atteinte de démence et devenue peu à peu dépendante. Son époux, désemparé, s’en va. Ce départ précipite alors les deux femmes dans un huit clos, où la maladie de l’une n’est en définitive qu’un subtil levier pour révéler la solitude de l’autre. En dépit d’une fragilité grandissante, le personnage d’Anna exprime une profonde énergie, comme ultime défit à ses facultés qui l’abandonnent. Face à elle, la blonde Félicia peine à se trouver et à s’imposer au monde. Elle agit comme un ange de la mort, spectatrice immobile et silencieuse de la déchéance, à moins que ce ne soit l’expression du vide qui l’envahit, à mesure que la vitalité d’Anna se révèle.
Pour autant, le film ne sombre jamais dans le pathos ou la noirceur. Bien au contraire. La lumière spécifique du bord de mer (la Loire Atlantique en l’occurrence) complète admirablement la musicalité créée par le bruit du vent. Le spectateur est ainsi transporté dans un écrin de douceur, qui éclipse l’atmosphère pesante de la maison d’Anna. Une vraie sensualité émane parfois de la gestuelle des personnages, qui se frôlent, se touchent, comme dans l’une des premières scènes du film, dans laquelle Félicia masse les mains de sa protégée.
Le film est aussi une évocation poétique du temps. Comment est-il perçu par les deux femmes ? La succession des plans-séquences alternant silences et cris, atrophie cette temporalité. » On a du temps » répond Félicia, lorsque Michelle (Jocelyne Desverchère), l’infirmière qui vient parfois soigner Anna, lui demande si ce n’est pas trop dur.
l’eau, plus stagnante que vive, (celle de la baignoire ou des marais), les gestes répétitifs et domestiques (la préparation du petit-déjeuner, le rangement de la vaisselle) accentuent encore ces instants contenus, arrêtés, qui permettent finalement au spectateur, d’observer et d’être littéralement happé par l’interprétation impeccable des personnages. Cécile Coustillac (lauréate en 2007 du prix de la révélation théâtrale pour » Vêtir ceux qui sont nus » de Pirandello et » les trois soeurs » de Tchékhov) fait ici sa première apparition au cinéma, et incarne avec justesse et minutie une Félicia qui demeure déroutante jusqu’au bout. Face à elle, Liliane Rovère, comédienne pour le théâtre, le cinéma (dont » Buffet froid » et » Préparez vos mouchoirs » de Bertrand Blier) et la télévision depuis les années 70, est époustouflante de vérité. A aucun moment, et elle le dit elle-même, elle n’a cherché à accomplir une performance d’actrice mais en revanche à faire corps avec son personnage. La vitalité qu’elle lui apporte laisse entrevoir une large palette de couleurs, bien trop belle pour s’en priver. Le film (tourné en 12 jours) a été présenté en 2009 en sélection officielle au Festival de Pusan.
Virginie Chapelain
l’Absence
Film français de Cyril de Gasperis
Genre : Drame
Avec Liliane Rovère, Cécile Coustillac, Jocelyne Desverchère, Adrian de Van…
Durée 1h11
Sortie : le 10 mars 2010