Une seule explication possible à cet édifiant ratage : qu’il s’agisse uniquement d’un film de commande dans lequel Tim Burton n’a pu tenir autre chose que le rôle du co-réalisateur. Pressé par Disney et par le prototype de la 3D (qui, à part »Avatar » ne nous a toujours rien prouvé de convaincant), le cinéaste américain dont la fascination s’étend de plus en plus à la mythologie fantastique de Grande-Bretagne a ainsi signé son plus mauvais film. Car même si »La planète des singes » ne fût pas ce qu’on pourrait nommer un triomphe artistique, le charme de son bazar artisanal pouvait encore nous charmer. Alors qu’ici, le virtuel prend le pas et enlève toute l’âme de l’ouvrage ; à part Alice, il n’y a pas un seul personnage qui semble réel, en chair. Tout est tellement retouché, jusqu’aux décors hideux, que le monde fantaisiste repris de Carroll nous ferme aussitôt ses portes. On y trouve une fadeur esthétique jusque-là jamais vue chez le cinéaste ; sa création gothique tombe à l’eau, les effets de disproportions échouent, la faute à une 3D à valeur purement commerciale et dont l’intérêt n’est que celui d’un gimmick abrutissant. Il n’y a plus aucune personnalité, aucune magie dans cet univers en angles droits où la folie libertaire devient un labyrinthe fléché, dirigé et prévisible. Même le Chapelier Fou est inconsistant (Johnny Depp, inintéressant pour l’unique fois), loin de l’allure délurée que l’affiche nous promettait en misant dessus comme d’un personnage principal, ce qu’il n’est assurément pas. On sent que l’adaptation à la réalisation 3D, parce qu’elle diffère des codes de la 2D, empêche Burton de creuser l’amplitude poétique à laquelle il nous a habitué. On sent aussi que Disney a la main-mise sur l’intégralité du film, plus proche du »Monde de Narnia » que du trip déjanté que le projet nous laissait présager. Le cruel manque d’invention des séquences, la prévisibilité du déroulement (le happy-end final est d’une insupportable mièvrerie, ainsi que la bataille manichéenne qui le précède), la pauvreté psychologique du personnage d’Alice et l’incohérence visuelle de ce fourre-tout carnavalesque est en partie la faute du scénario : sans aucun doutes le pire que Burton ait eu à tourner, entre l’indigence totalement moralisatrice du rapport monde réel/monde imaginaire et la propreté sans plis de l’aventure, sclérosée alors que la richesse de l’univers de Carroll pouvait difficilement accoucher d’une idée aussi figée. Ce n’est pas tant l’envie d’avoir été fidèle au double-écrit de l’auteur que de n’avoir su retraduire l’âme merveilleusement inventive du récit. La réalisation, indissociable de n’importe quel fonctionnaire, fait penser à un spot pour Guerlain dont les couleurs hideuses et les lumières baveuses font vraiment attendre la présentation d’un produit. La muse du moment, Mia Wasikowska, a tout de ses actrices de pub qui affichent sans style leur minois (con)sensuel. Difficile de croire, devant un tel ennui et une telle misère à la fois visuelle et scénaristique, qu’un cinéaste aussi singulier et excentrique que Tim Burton ait pu s’atteler au projet. Le film en paraît d’autant plus mauvais que la rencontre entre les deux artistes (Carroll-Burton) s’annonçait pour le moins étincelante. Malheureusement, et contre toute attente, l’attraction (car on ne peut réellement parler de cinéma ici) semble fort avoir été dirigée par quelques studios artistiquement in-intéressés, reléguant l’ingéniosité de l’art Burtonien au rang optionnel.
Jean-Baptiste Doulcet
Alice au pays des merveilles
Film américain de Tim Burton
Genre : Fantastique, Aventures
Durée : 1h49 min
Avec : Mia Wasikowska, Johnny Depp, Henela Bonham-Carter…
Date de sortie cinéma : 24 Mars 2010
Monsieur, vous avez lu dans mon esprit, je ne pourrais absolument pas faire meilleure (ou pire) critique de ce film, qui m’a ennuyé dès les premières minutes. Et vous avez remarqué cette fascination pour les yeux, tout au long du récit? Les références étaient nombreuses, mais les attentes étaient peut-être trop grandes, qui sait.