» J.’ai enfilé la mauvaise route, moé ! J.’sés un gâs qu’a mal tourné » récitait en son temps le chansonnier et poète libertaire Gaston Couté. Aujourd’hui, c’est Bernard Gainier, paysan retraité du nord de la Loire qui fait de ces mots les siens. Mais les deux hommes ne sont pas si différents, puisque c’est en voulant faire un film sur le premier que Pascal Boucher (à qui l’on doit la co-réalisation du décapant Désentubages Cathodiques en 2005 et censuré par le CSA) rencontre le second et décide alors d’en faire son personnage principal.
A 73 ans, Bernard Gainier vit seul. Il continue tant bien que mal à cultiver ses modestes vignes (pour ses amis qui le rejoignent souvent dans son » bureau » ou sa cave, pour trinquer avec lui). Mais son plus grand bonheur reste encore de réciter des vers de Gaston Couté en compagnie du » P.’tit Crème » son groupe de musique. Pour le plaisir certes, mais aussi et surtout parce que cet anar sans Dieu ni chaussettes (qu’il remplace par des « pénufles ») trouve dans les mots du poète un fidèle écho à sa propre vie. C.’est à merveille qu’il incarne alors ce temps perdu et oublié, celui d’un monde rural et d’une culture populaire, dont il devient du même coup, la mémoire et le passeur. Peut-être est-ce aussi un dernier rempart subversif à l’image que lui renvoie la société actuelle où les générations cohabitent, sans y trouver leur place. Pour preuve, cette inscription en évidence dans un coin : « Travail forcé pour les vieux, chômage imposé pour les jeunes » !
Toute l’originalité du personnage apparaît aussi par le patois qu’il utilise, le plus proche selon le réalisateur, de celui des textes de Gaston Couté. Malgré le siècle qui les sépare, les deux hommes étaient donc faits pour se rencontrer, d’autant plus que Bernard Gainier habite à quelques 200 m du lieu où est né le poète en 1880. Si le film restitue en effet une époque et un langage à jamais enfouis, il est encore et surtout un formidable prétexte pour (re)découvrir Gaston Couté, poète de l’oralité. Pascal Boucher illustre admirablement sa poésie, non seulement par les mots mais aussi par les paysages environnant la petite ville de Meung sur Loire. Après la projection, on aurait même envie de s’y rendre pour rencontrer » en vrai » Bernard et entendre raisonner au loin dans la plaine, qui sait, la voix du jeune Gaston.
Virginie Chapelain
Bernard, ni Dieu ni chaussettes
Documentaire de Pascal Boucher
Sortie le 24 mars 2010
Durée 1h20