« Parce que le théâtre, ça parle, quand le cinéma ne fait que se taire » réplique Auguste, dramaturge paranoîaque rongé par son ex-femme Harriet qui, elle, lui préfère Théo, jeune petit nouveau qui doit jouer à ses côtés dans la pièce dudit… Auguste. Quant à Fanny, elle fait le courrier et ne va pas tarder à se dénuder sous le charme des trois, surtout Auguste. Comme toujours chez Doillon, on note la direction d’acteurs d’une justesse sidérante : il n’y a rien de comparable dans la difficulté que les sentiments simples et libres d’un quatuor dont il faut rendre l’aspect fou et ludique à la fois, dans un décor quasiment unique, sur un texte théâtral très appuyé. Pascal Greggory, Louis Garrel, Julie Depardieu et la magnifique révélation Agathe Bonitzer relèvent le défi et l’emportent haut la main. Peut-être Garrel a-t-il trop plongé dans l’univers poseur de son père pour se départir une fois de plus de son image de jeune premier bohème et tragique. N’empêche. Par contre Doillon, lui, malgré son prodige du rythme, du mot et du corps, prend part ici à un verbiage pédant et à des relations sans queue ni tête entre des personnages qui ne sont pas ceux que l’on croit et ce qu’ils croient être d’eux-même, se révélant tour à tour dans un grommellement de phrases agaçantes et de postures anti-naturelles. Il est rare de pouvoir distinguer chez Doillon la substance scénique, la direction et la réflexion de toute chose, car tout disparaît par magie tant la spontanéité des lieux, des couleurs et des visages entrent en danse. Cette fois la transparence de la mise en scène se manifeste derrière chaque image, chaque geste. C’est du Doillon qui sonne faux, poussif et creux même si l’on prend plaisir à se laisser divaguer dans les méandres bucoliques de son cinéma. Un bord de rivière, une chambre ensoleillée, un lit où loge une divinité nue, toutes ces images de bonheur se chamboulent dans une réflexion sur la mise en scène qui finit rapidement par peser sur le film. On croirait voir à travers le personnage d’Auguste, Doillon à l’oeuvre, torturé par une recherche vitale de la simplicité et des belles choses, perdu dans l’amour et la sacralisation qu’il porte à la femme. Pas étonnant alors que celui-ci encore nous rappelle en ronchonnant que »Le cinéma ne fait que se taire » à travers mille mots qu’il décuple et rythme comme les paroles d’une chanson gaillarde dans la bouche d’une femme. Alors pour ce quatuor dissonant, pourquoi autre chose que la magie soudaine d’un Quatuor à cordes de Beethoven quand se dépose le baiser estival? Pourquoi la musique pittoresque de Philippe Sarde se fragmente en essayant de souligner les évènements ? Décidément non, on ne sait pas pourquoi, la musique comme le reste devient un affect de mise en scène là où Doillon les a toujours éviter avec soin. Le cinéma, il faut que ça parle, oui, mais que ça parle vrai seulement.
Jean-Baptiste Doulcet
Le mariage à trois
Film français de Jacques Doillon
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h40min
Avec : Pascal Greggory, Julie Depardieu, Agathe Bonitzer…