Indéniablement, »à‚mes en stock » offre d’emblée une géniale invention comique ; Paul Giamatti, jouant son propre rôle, lui-même pris dans les filets de Tchekhov pour son personnage d’Oncle Vania, découvre l’existence d’une véritable industrie proposant à ses clients une ablation de l’âme. Evidemment tout cela n’est qu’une supercherie commerciale visant à plumer les gens en plein mal-être existentiel. Sophie Barthes, réalisatrice française qui signe là son premier long-métrage (directement propulsée dans la sphère du cinéma indépendant américain), nourri son film d’une astuce ingénieuse consistant à montrer le vide des existences et les présences d’inventions sectaires dont les promesses ne sont que de grandes escroqueries parfois incomprises. Paul Giamatti donc, génialement incarné par Paul Giamatti (pour un éventuel biopic, on y pensera), dessine ce bonhomme lunaire et désespéré, plongeant inextricablement dans la dépression et la maniaquerie. Vie de couple morose, questionnement identitaire et lassitude du travail de la comédie ; le fim joue en partie de ce vrai-faux et nous immisce dans la personnalité falsifiée de l’acteur. En quelques scènes, Sophie Barthes saisit une belle mélancolie et toute l’absurdité comique et mélodramatique du sujet ; en droopy insatisfait, Giamatti prend chez Buster Keaton ce désemparement tout naturel tandis qu’il évoque parfois dans le même temps la tristesse des grands acteurs belges de notre époque, toujours confrontés au propre vide de leur existence dans un cinéma qui parle au nom de tous. Mais on se rend vite compte que Sophie Barthes n’a pas le talent qu’on lui remarquait lors des 15 premières minutes. Son thème, touchant, et son traitement, loufoque, ne deviennent plus qu’un prétexte pour laisser l’acteur improviser dans un vaste monde sans personnalité. Tout le mérite repose sur sa gamme contrastée de jeux physiques et sa diction imperturbable. Ainsi du burlesque plombé de merveilleux silences ne subsiste qu’un vague rythme légèrement ennuyeux. Du début inspiré ne résiste que le jeu créatif de son interprète, le scénario divaguant à ses aises dans une bizarrerie sans frontières qui ne ressemble plus à grand chose (le départ pour Moscou et la ligne de thriller qui s’installe en plein milieu d’un récit qui n’en demandait pas plus) »à‚mes en stock » finit par dériver vers l’improbable, voire l’incohérent (tout cela était donc vrai ?), et oublie sur la route son divin personnage de paumé. A la déroute, le film prend vite l’apparence de son personnage ; vide, se posant des questions qui n’aboutissent à rien, la comédie pince-sans-rire devient le récit héroîque d’une résolution. Une question persiste alors : à quoi bon tout ce manège ?
Jean-Baptiste Doulcet
à‚mes en stock
Film franco-américain de Sophie Barthes
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h41 min
Avec : Paul Giamatti, Dina Korzun, Emily Watson…
Date de sortie cinéma : 5 Mai 2010