Arnaud-Fleurent Didier a cette frivolité poétique à la française que l’on retrouve rarement ou avec trop de parcimonie dans le paysage musical français. Je pense tour à tour à Dominique A pour la poésie, Sylvain Vanot pour le grain de voix, à Louis Philippe pour la délicatesse, aux compositions décalées et avant-gardistes de Air et de Phoenix ses proches amis de Versailles, à l’anglais Neil Hannon pour l’écriture intimiste symphonique.
Alors étudiant en 1995, il signe sur un label japonais sa première oeuvre , Chansons Originales puis Chansons Françaises album griffés du groupe Notre Dame et offre Comment l’amour est mort avec Ema Derton en 2002, Portrait du jeune homme en artiste en 2004, premier album de son nom, travaille en 2005 la BO du film Thomas Hylland Eriksen and the story of the origami girl.
Comme le souligne Arnaud Fleurent-Didier dans une interview, sa musique se classe dans la pop. Ce n’est pas de la chanson française; Ses références sont clairement pop anglo-saxonnes alimentées de ses textes en français. Que ce soit dans les partitions de basse, l’orchestration des cordes ou dans la rythmique, la construction alternative des mots, le style pop est une évidence.
Le titre France Culture ouvre ce superbe disque de La reproduction telle une introduction, un portail ouvert sur le thème de l’album: le questionnement d’un jeune homme sur sa future paternité et l’inventaire qu’il fait de ce qu’il a reçu comme héritage culturel familial à léguer.
Avec une élégante pudeur, il effeuille les questions comme on déshabille un artichaut jusqu’au coeur. Les choeurs beach-boysiens accompagnent le second titre A l’origine du monde qui dessine les sensations vécues lors des primes émotions. Imbécile Heureux dévoile l’Amour naissant sur une rythmique digne des Barron Knights ou des Byrds et des sonorités de piano bar effleurées de paroles pop-naives.
Au fil de l’écoute, la maturité des sentiments et du son s’introduit, avec Reproductions, titre riche de sens et de significations, disco, groovy, alterne avec la profondeur de la déclaration, de l’aveu, de l’art d’essuyer un affront et du désenchantement qui parfois en découle.
Les deux titres Mémé 68 et Pépé 44 sont les questions politiques du jeune homme, sur la liberté sexuelle, l’occupation, l’après-guerre qui font écho au titre d’ouverture France Culture, une émission de radio née d’ailleurs en 1946.
Je vais au cinéma fait un travelling cinématographique sur »l’histoire d’un type qui meurt pour ses enfants » et sur la ville de Paris, de la place Clichy, les Batignoles, de ses rues aux profils internationaux comme la rue de Florence, de Turin, de Berlin, rue de Moscou, d’Amsterdam…
Ne sois pas trop exigeant parlera aux pères qui rentrent dans le rang au point de se mettre des oeillères, les cordes (quasi au cou) s’envolent sur les choeurs seventies qui résonnent et valsent sur le piano courtois; My space Odity et sa basse languissante s’accorde avec le tempo de l’année 74, année de naissance d’Arnaud; la nostalgie des accords du clavier emmène par moments sur les traces de William Sheller.
Risotto aux courgettes, annonce des métaphores culinaires succulentes, sur des envolées de flûtes. C’est sublimement fripon. L’album se termine avec Pépé44 et Si On Se Dit Pas Tout. Cette dernière chanson adressée à son père est une balade fournie d’instruments à vent, d’arpèges de guitare acoustique pour conclure toute en légèreté avec les mots »si on ne se dit pas tout, c’est pas grave papa ».
Portrait du jeune homme en artiste et Reproduction sont sans aucun doute les deux meilleurs albums français de ces décennies. Arnaud y joue tous les instruments (à l’exception de la flûte assurée par Benoit Rault), compose et écrit.
Il a réussi. C’est magistral et la preuve qu’Arnaud-Fleurent Didier est un sacré compositeur qui sillonne les voies royales de l’histoire de la musique.
Marie-Agnès Hallé
Tracklisting :
01. France Culture
02. L’Origine du Monde
03. Imbécile Heureux
04. Reproductions
05. Mémé 68
06. Je vais au cinéma
07. Ne sois pas trop exigeant
08. My Space Oddity
09. Risotto aux courgettes
10. Pépé 44
11., Si on se dit pas tout
Date de sortie: 04 janvier 2010