Comment conclure en beauté une saga de trois films étendue sur 15 ans? Comment faire un au revoir aux enfants et aux adultes qui ont partagé ce mythe du dessin animé ? Pixar a une fois de plus réponse à tout, dans l’intelligence et la finesse. En amalgamant le destin fantasque des jouets à celui des humains, avec les noirceurs que cela comporte (temps qui passe, direction à suivre, utilité sociale, combat contre la fatalité qui nous étreint), les merveilleux créateurs du studio d’animation américain arrivent à créer l’alchimie parfaite entre le divertissement de très haut niveau et le drame par petites touches dont les considérations étonnement fatalistes entament une nouvelle représentation du dessin et du cinéma (en témoigne la scène dans la décharge, apocalyptique et jamais vue auparavant chez Pixar).
Admirable prouesse technique doublée d’une aventure joyeuse dans les couleurs de l’enfance et les textures mignonnes, »Toy Story 3″ relève plus que jamais le défi de représenter avec envergure la réduction à la loupe de notre monde réel pour filtrer l’action de jouets miniatures. Le travail sur l’échelle des grandeurs est impressionnant et sert alors à construire plus de 30 minutes de séquence d’évasion dont la consistance rythmique et visuelle, les intentions cinématographiques et l’intensité de l’action sont au-dessus de tous les blockbusters américains du moment. Plus fort encore, cette émotion qui surgit une fois de plus ; mais si elle apparaissait puissamment dans l’image synthétique de »Là -Haut » – le dernier film Pixar en date – , cette fois elle se dégage d’un double fond factice, puisqu’à la fois le dessin animé induit l’absence de concret visuel, mais en plus, les personnages mis en scène ne sont même pas des imitations d’humains, mais des jouets, condamnés de ce fait à n’être que du plastique. L’idée magistrale du film, et c’est celle qui maintient depuis le début les films des studios Pixar, est cette alternance entre une virtuosité totale du divertissement et une grande simplicité émotionnelle. A travers la sobriété et la suggestion des sentiments (la fin, merveilleuse de calme, évite soigneusement d’en rajouter dans le tire-larmes pour préférer un simple et heureux happy-end), »Toy Story 3″ gagne en finesse et en recul, ouvre juste un sentiment de bonheur où se trouve ici la fin pourtant amère d’une famille beaucoup trop sympathique pour qu’on la puisse quitter.
Au-delà de cette émotion (on a souvent tendance, à tort, de considérer l’émotion comme le sommet d’une oeuvre), ce nouvel épisode contient un humour et une inventivité rythmique inégalable. L’arrivée de certains personnages sont hilarants (Ken & Barbie dont l’idylle caricaturale rappelle aussi pourquoi tout cela n’est pas plus faux que notre réalité), offrant d’astucieuses parenthèses au récit, notamment un extraordinaire flash-back aux teintes d’automne pluvieux dont l’aboutissement explique, toujours avec cette même simplicité, l’identité de Lotso, ours en peluche aux allures de papy vétéran senteur fraise. Il est la raison d’être du film, peut-être la trouvaille identitaire la plus géniale que Pixar est à ce jour réalisé. Car par la force des choses, le nounours câlin au physique adorable se transforme en un tyran bafoué par le déchirement familial et le trouble identitaire, réinventant alors un système au sein même du décor principal du film, à savoir la garderie. Celle-ci, par l’addition de prouesses scénaristiques, se transforme en une zone carcérale d’où les jouets vont tenter de s’évader lors d’une séquence accumulant intelligemment les meilleures influences et clins-d’oeils possibles. Chef de cette garderie sans issue (la nuit, lorsqu’elle se dévide de ses diablotins en couche-culottes), Lotso affirme qu’il faut gagner sa place dans leur monde, imposant dans son attitude de traître marqué par la vie l’image mythologique des guerriers du Vietnam, cette génération d’américains dont la désillusion a été leur formation et leur perte. Malgré la fin tragique qui lui est réservé parce qu’il fait les mauvais choix et qu’il trahit la dernière communauté qu’il lui reste, Lotso est un des plus beaux personnages de Pixar qui, dans son héroîsme vengeur, abrite une défaite et une tristesse qui, volontairement, ne se montre jamais autre part que dans sa douce matière de peluche et dans l’innocence de sa couleur, le rose.
« Toy Story 3″ parce qu’il construit toute une grille de personnages sensés et modernes, bons ou méchants (même si la notion de méchant cache ici des erreurs du passé comme pour créer absolument l’empathie nécessaire qu’un enfant doit avoir face à un jouet), est une admirable allégorie de la vie humaine. Porté par un humour revigorant, des dizaine d’idées à la minute et la subtilité du trait émotionnel comme du message sociologique, »Toy Story 3 » clôt magnifiquement une série inoubliable de créativité et dont on constatera ici l’aboutissement ni plus ni moins que par la perfection technique à laquelle est arrivé le récit, ce sommet d’art ludique, drôle et bouleversant, sublimement intemporel puisque les jouets n’ont pas d’âge.
Jean-Baptiste Doulcet
Toy Story 3
Dessin animé américain de Lee Unkrich
Genre : Dessin animé 2D ou 3D
Durée : 1h40 min
Avec les voix (V.O.) de : Tom Hanks, Tim Allen, Michael Keaton…
Date de sortie cinéma : 14 Juillet 2010