Jeune premier du cinéma québécois, raillant avec insolence et caricature ses aînés de la nouvelle vague, Xavier Dolan a su trouver avec ce deuxième film une place bien à lui dans le nouveau cinéma mondial.
Constamment partagé entre l’inspiration gracieuse et le fourre-tout ridicule des citations, le jeune cinéaste signe ici – et déjà – une oeuvre de la maturité. Embardée hystérique et onirique dans la jeunesse montréalaise, son film est une proposition électrique de cinéma dont les ressemblances avec certains ne sont qu’un moyen de s’échapper plus loin encore des productions actuelles.
Moulé dans de l’art déco provoc, à la limite de la dégoulinance kitsch, »Les amours imaginaires » rend quand même palpable cet amour érigé en déraison que subissent Francis et Marie-Camille, envers une seule et même personne, Nicolas. Et quelle surprise de voir qu’un cinéma à ce point rempli de facilités, de tics et d’insistances visuelles, peut séduire et bouleverser alors même qu’il affiche un peu trop lourdement ses appartenances à la jeunesse bourgeoise et au monde homosexuel. Mais Dolan a plus d’un tour dans sa poche, et au jeu de la ressemblance celui-ci est très fort ; ses errances artistiques et son dialecte amoureux du renouveau font penser à Rimbaud. Le personnage de Marie-Camille est une Audrey Hepburn surlignée tandis que celui de Nicolas joue de près (physiquement comme techniquement) le jeu de Louis Garrel.
Dolan aime ne pas dissimuler les souffles inspirants de son cinéma ; entre les teintes enjouées et excentriques des premières bobines d’Almodovar jusqu’à l’utilisation ampoulée du ralenti (Wong Kar-Waî flotte par-là ), la déconstruction quasi-expérimentale du récit en touches sensitives (Gus Van Sant…), on ne sait plus où donner dans ce tourbillon de signatures collées et qui, miraculeusement, n’en forment plus qu’une. Un tel trop-plein est évidemment la première cible des bien-pensants ; à quoi bon foutre à l’envers toutes ses citations, pourquoi toujours vouloir taper dans l’oeil, pourquoi cet esprit bobo clairement affiché avec rébellion. Ce à quoi nous pourrions aussi répondre : pourquoi tout justifier tant que le résultat est beau, quitte à bousculer les normes? Car »Les amours imaginaires » film du défaut, est aussi un film déterminé par la beauté qu’il poursuit, et qui se fout entièrement du reste (au point même qu’il y a ici les plus beaux morceaux de cinéma de l’année). Les scènes d’amour s’enchaînent au ralenti, entre hommes, ou hommes et femmes sous des néons violets, vers et rouges. En fond sonore une suite de Bach pour violoncelle vient prononcer ce goût de l’érotisme et du mélange – la bande-son naviguant aisément de Sting à Wagner sur des enfilades de robes vintage.
Certes, Dolan n’est, comme ses autres compatriotes dans le film, jamais au niveau de celui qu’il prétend être. Dolan n’est ni Rimbaud ni Alfred De Musset, qu’il cite aisément. Il est seulement un jeune provocateur ‘hype’ dont le bon et le mauvais goût ont su modeler un objet d’art d’une folle inventivité formelle, d’une maîtrise électrisante. Quant aux saynètes sur lesquelles est construit l’intégralité du récit, celles-ci ne sont qu’une science nouvelle et imprévue de raconter une histoire simple, dont l’esprit se rallie naturellement à la Nouvelle vague française, mais dont le corps entrecoupé est reconduit vers une démarche contemporaine.
« Les amours imaginaires » est une oeuvre irracontable, naturellement anti-naturelle, profitant du fatalisme rayonnant de son auteur pour se diriger vers un point de chute dont l’ironie cinéphilique n’a d’égale que la force du discours amoureux qu’elle abrite. C’est là tout le sarcasme du cinéma de Dolan que de ne pas révéler ailleurs qu’en face de nous son envie d’être l’héritier d’un courant ; quand Garrel, auquel on pense tout du long, apparaît littéralement comme la suite logique du récit, Dolan a déjà une avance sur nous. Il a déjà parié sur notre instinct critique et animal, sur ce que le personnage de Nicolas nous a évoqué tout du long. Bien sûr la signature était là depuis le début, refusant simplement de se cacher alors qu’on la croyait jusque-là mal dissimulée. C’est ce qui semble définir avant tout la manière de Xavier Dolan : une fausse provocation qui n’est le masque que d’un être véritablement torturé et poète, dont l’appartenance aux mondes du désir s’éloigne du notre par un nuage irréel. Dolan prend la pose et celles des autres, son cinéma étant condamné à n’être justement qu’une pose, mouvementée cependant, au rythme des fulgurances qui la traverse.
Jean-Baptiste Doulcet
Les amours imaginaires
Film québecois de Xavier Dolan
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h35 min
Avec : Xavier Dolan, Monia Chokri, Niels Schneider…
Date de sortie cinéma : 29 Septembre 2010