S’il est bien un cinéaste dont on ne peut critiquer la passion et le travail, c’est Bertrand Tavernier. Pour son 32ème film, adaptation d’une nouvelle de Madame de Lafayette, l’un des monstres sacrés du cinéma mondial (des films inoubliables, une bibliographie immense, des rencontres uniques avec de grands cinéastes américains – voir son livre-phare »Amis américains » – ) consacre sa direction et sa vision au film d’époque, souvent considéré comme poussiéreux.
Mais pire que d’être poussiéreux, son film est en fait une relecture volontairement ‘technique du nouveau millénaire’ d’un récit jamais débarrassé du classicisme qui fait défaut à la forme cinématographique. Si Sofia Coppola s’était saisie d’une idée folle qui consistait à parler de »Marie-Antoinette » dans un courant pop qui dynamitait les codes artistiques et l’Histoire, Tavernier signe une fresque d’une banalité affligeante, tentant de s’accorder durant 2h20 entre un scénario académique et une réalisation des plus affreuses, tout en grands mouvements et en lumières télévisées.
De fait »La princesse de Montpensier » ressemble fortement à un horrible téléfilm destiné à conquérir les frustrés de manuel d’Histoire, mettant en opposition la partition grotesque de Philippe Sarde (grands violons électroniques et percussions tout droit sorties de Fort Boyard) avec un sens de la figuration qui renoue avec les traditions du nanar de la comédie française. Quand Les Inconnus, caricaturaient le film français en costumes, leur regard moqueur disait déjà tout ce que le film de Tavernier contient ; une location d’équipements plastifiés, des meubles en faux bois, des acteurs sociétaires de la Comédie Française (Michel Vuillermoz dans son rôle le plus improbable), une musique du plus mauvais goût, des dialogues consternants de naîveté, des cadrages aléatoires…
Il semble impensable qu’un cinéaste aussi pointu et inspiré que Tavernier soit à l’origine d’un tel naufrage. Même l’utilisation de la steadycam est, en plus d’être atrocement employée, malhonnête avec la reconstitution mémoriale et picturale de l’Histoire. Elle ressemble à un objet dernier cri dans le cadre d’une histoire ancrée dans le XVIème siècle dont on ne verra ni coutumes ni réalités sociales ou spirituelles. Les acteurs gambadent bêtement dans les hautes herbes alors que la figuration insensée pose déjà le problème du réalisme et de la direction en roue libre »La princesse de Montpensier » renvoie cette image gênante d’un cinéma français sclérosé par des ambitions démesurées et des choix stylistiques qui ne peuvent définitivement pas coller. Ce n’est même pas un quelconque handicap budgétaire qui donne au film cette impression de grotesque et d’amateurisme ; alors soit Tavernier a sévèrement perdu la main, ou bien ce film est une commande à laquelle il n’a que très peu participé. Car à part les cinq dernières minutes où s’enchaînent les seuls cadres intéressants du film, le reste n’est que plans-séquences à la pelle, hachurés, instables comme si le chef opérateur traînait un pied dans une crevasse. Tout est surligné d’une manière vulgaire, sans aucune place pour la grâce ou l’expression des comédiens, tous plus insupportables les uns que les autres.
Grégoire Leprince-Ringuet est devenu un petit jeune sans épaisseur – si loin de l’innocence de son personnage dans »Les chansons d’amour » – Lambert Wilson théâtralise de redoutables dialogues scientifiques sur la nature des sentiments, quant à Gaspard Ulliel, Tavernier a encore eu le bon goût de ne pas le faire parler, et Mélanie Thierry, véritable promesse du cinéma français, s’amuse à courir entre les pâquerettes tout en citant son texte sur une voix fluette totalement crispante. Voilà donc ce qu’est à peu près cet affreux pensum d’un ennui et d’une incommodité hors du commun, duquel ressort l’affreuse impression que Tavernier s’est mué en un directeur de plans peu concerné, perdant toute la magie de son cinéma, son point de vue et ses idées de metteur en scène. Pour tout dire, même les vigoureux étalons qui parsèment le film semblent se demander ce qu’ils peuvent bien faire là .
Jean-Baptiste Doulcet
La princesse de Montpensier
Film français de Bertrand Tavernier
Genre : Drame historique
Durée : 2h19min
Avec : Mélanie Thierry, Lambert Wilson, Gaspard Ulliel…
Date de sortie cinéma : 3 Novembre 2010
Enfin un jugement négatif. Ma première réaction : « C’est comme deux épisodes d’une priduction historique télévisuelle qu’on aurait difusés en une seule fois ». Et ces visages crispés dans un expression et demie pendant plus de deux heures, ces dialogues ânonnés, écrits en vrai-faux français classique, ces clins d’oeil à vomir («À ma guise», comme dans la pub jouée par Rochefort, et cette première scène, celle du dépendu de justesse pompée sur un western célèbre dont j’ai oublié le titre)… Vraiment, c’est bien peu d’art et beaucoup, donc trop, de chichis. Mais de beaux tissus, ma foi.