C’est auprès d’une troupe improvisée que ce documentaire prend vie ; le thème, fédérateur, annonce d’emblée la couleur. Ces adolescents – qui n’ont jamais pratiqué ce genre de danse et ne sont jamais monté sur scène – sont conviés à une sorte de fête artistique libératrice sous l’égide de l’immense Pina Bausch.
Ce documentaire se déroule peu avant sa mort et gagne alors une dimension émotionnelle supérieure dans sa description vitale des corps et des peines que le mouvement expulse. Car déjà , mêlé aux confessions parfois douloureuses de certains ados, le docu se pose face à leurs expériences de vie personnelles. Cette troupe de danseurs improbables devient alors la métaphore d’un épanouissement communautaire, sauf que ce partage n’a aucune frontières, et donc, aucune limites.
Parfois l’insistance sur les drames personnels de chacun (à plus ou moins grande valeur) a quelque chose de maladroit dans la démarche tant elle sert au film à donner un propos consistant et à rendre humaines ces métaphores chorégraphiées. Mais le tourbillon de vie qui se dégage de cette découverte pour l’art, de ces jeunes admirablement investis dans un projet qui les met à nus (crier, courir, exposer son corps différemment, chanter, se toucher), fait tout l’intérêt du film. Le travail des cinéastes, dans le recueillement inlassable des scènes de répétitions et de parallèles sociaux-culturels rattachés aux différentes personnalités des jeunes artistes, rend pertinemment ce que la danse évoque ; et en quoi l’art, qu’il s’agisse d’un mouvement de corps comme d’un mouvement de pinceau, rapproche les gens, ici concrètement puisque chacun se trouve confronté au corps de l’autre.
Autour de ce cercle, quelques plans de la banlieue germanique et de ses barres d’immeubles viennent dire le désespoir social auquel les jeunes peuvent être potentiellement voués. Ainsi l’espace de la salle de répétition prend un sens et donne une impression de familiarité. C’est dans cette salle tapie de costumes colorés que tout le monde se retrouve, apprend à s’aimer et à partager le même désir artistique. Paradoxalement, c’est dans ce lieu sans horizon que se dessine un possible avenir et où la sensation d’exister se fait la plus forte. C’est aussi la sensation de faire ce que l’on veut de son corps, d’avoir enfin l’occasion d’en être le maître.
Les deux coachs artistiques qui accompagnent Pina Bausch et ces jeunes, sont aussi deux admirables femmes (Bénédicte Billiet et Jo Ann Endicott, danseuses professionnelles de la troupe Pina Bausch) dont la présence et la patience, l’écoute et la clarté ont quelque chose d’une tendresse maternelle. Car ce rêve qui prend vie, c’est aussi celui de trois femmes qui ne dansent plus et qui, à travers cette troupe enchantée, se remémorent les années révolues, celles où le corps n’avait pas encore perdu sa liberté d’action. Et le prolongement de ce mouvement gracieux, aujourd’hui intérieur, est de transmettre aux novices sans se soucier d’autre chose que leur assurer le plaisir d’une découverte, si pure et si simple.
Jean-Baptiste Doulcet
Les rêves dansants : Sur les pas de Pina Bausch
Documentaire allemand de Anne Linsel et Rainer Hoffmann
Genre : Documentaire artistique
Durée : 1h29min
Avec : Pina Bausch, Bénédicte Billiet, Jo Ann Endicott…
Date de sortie cinéma : 13 Octobre 2010