On ne peut comprendre François Ozon à la seule condition qu’il signe un film grand public où se développe une dramaturgie théâtrale (8 Femmes et Angel, ses seuls bons films), comme si toute autre expérience l’amenait à noyer ses récits dans une ineptie bien française (qu’il s’agisse de l’insupportable 5X2 ou du grotesque Swimming Pool). La seule qualité constante que l’on retrouve dans l’étendue de son travail est le magnifique équilibre entre ses actrices, et peut-être aussi parce que celles-ci sont toutes professionnelles et passées maîtresses dans l’art de la composition.
On retient tout de même deux prestations étonnantes, celle de Romola Garai dans Angel et Alexandra Lamy dans Ricky, son avant-dernière fantaisie sans âme. Mais quand Ozon pastiche (voilà ce que j’entends dans sa manière de théâtraliser, un peu comme Resnais se l’autorise aujourd’hui avec plus d’excès toutefois), il devient un faiseur paradoxalement plus personnel que lorsqu’il signe des films aux propos intimistes. Potiche se situe dans la France bourgeoise de la fin des années 70, à l’époque où le renversement des sexes va avoir lieu par une prise de conscience qui amènera à une vague féministe héroîque.
Le scénario (adapté de Barillet et Grédy par Ozon lui-même) a deux valeurs cinématographiques, et c’est ce qui fait sa force : premièrement il est un divertissement très technique où le réalisateur s’amuse à parodier la scène théâtrale d’où provient le récit pour en faire un faux-vieux film, un pastiche d’hier et d’aujourd’hui. Deuxièmement, il est un propos universel qui entend faire résonner dans notre quotidien les valeurs véhiculées par la dramaturgie de l’oeuvre originale, construite sur un contraste : celle, parodique, de la domination masculine et celle ensuite, plus à fleur de peau, de la prise du pouvoir par la femme. C’est la raison pour laquelle Potiche est constamment dans la grotesque parodie référentielle ; tout d’abord la référence est un petit plaisir cinématographique, comme ce générique d’entrée digne d’un ridicule Cendrillon pour rappeler quel mythe était Catherine Deneuve, ou bien la reprise technique des formes à la Demy (chansons naîves, couleurs tape-à -l’oeil, parapluies, décors désuets…). C’est une large plaisanterie de la confrontation entre le poussiéreux d’hier et le moderne d’aujourd’hui. Mais la référence est aussi actuelle, et c’est en cela que le film veut trouver une accroche contemporaine, en opposant de vieux décors exagérément kitsch et des clins d’oeil politiques à un contexte qui n’a plus franchement de sens aujourd’hui. Voilà le malheur du film : au-delà de sa technique nouvelle génération, il n’est d’actualité que dans ses détails et sa vague métaphore de la guéguerre Sarkozy-Royal, prenant bien soin d’affirmer son point de vue.
Mais cela réduirait alors la politique à une guerre des sexes, ce qu’elle n’est pas, même si on comprend que tout cela est de l’humour gentiment provocateur tenant à dénoncer la futilité des attaques de chaque parti. C’est comme si le film nous incitait à voter Ségolène Royal pour le simple fait qu’il s’agisse d’un geste féministe. Car si on tente de voir la modernité de ce film sous un autre angle que les tranchées politiques (et le pire, c’est que le film doit certainement être pensé pour être pris de cette manière, au premier degré du second degré), alors tout sonne comme une convention, ; il ne semble pas nécessaire de rappeler au public français de 2010 que la femme est à l’égal de l’homme (et je crois malheureusement que le film s’adresse uniquement aux français si j’en crois la totalité des références), : cela fait des années que les deux sexes ont intégré cette réalité et Potiche ne serait alors qu’une piqûre de rappel sans intérêt, bêtement nostalgique d’une époque majeure de ce fait, mais dont les échos avec notre monde moderne ne peuvent être dans ce film autre chose que de la stylisation. Potiche reste un simple divertissement alors que l’adaptation parfois judicieuse de François Ozon avait l’ambition d’être au-delà . On dirait un objet de mode dont les intentions vertueuses sont souvent agaçantes. Il convient donc de regarder Potiche pour ce qu’il ne voulait pas être, et ce qu’il est quand même : une sympathique petite troupe de personnages attachants et grotesques. On appréciera les dialogues ciselés, les retrouvailles Depardieu-Deneuve (dont on n’avait pas retrouvé la prestance depuis 8 femmes du même Ozon, la preuve que cet homme doit plaire aux divas), et la justesse de tout ce luxueux casting dans les meubles chromés d’une maison sans âge, véritable lieu de comédie fourmillant de petits plaisirs. On pourrait résumer Potiche d’un seul reproche : le seul danger de ce style †˜bonbon à la fraise.’, c’est qu’en échouant dans ses petites attaques moqueuses et virulentes, il ne reste du film qu’un bonbon à la fraise.
Jean-Baptiste Doulcet
Potiche
Comédie française de François Ozon
Durée : 1h43min
Date de sortie : 10 Novembre 2010
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard,…
La bande-annonce :
oh là là , pas du tout d’accord avec « 8 Femmes et Angel, ses seuls bons films ».
Chez Ozon, il y a deux veines : d’un côté un cinéma ultra stylisé qui prend sa source, son esthétisme le plus souvent dans le théâtre mais aussi dans le conte de fée ou le sitcom. De l’autre, une veine naturaliste totalement différente de la précédente. Dans les deux familles, il y a je trouve deux grands films : « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » d’après une pièce de Fassbinder, film dont la stylisation extrême permet de révéler une cruauté bien réaliste elle et un sujet vrai et fort : la préséance du pouvoir sexuel sur tous les autres sentiments . Et puis dans la veine naturaliste, « Sous le sable » (la mer est d’ailleurs, un thème récurrent chez Ozon), film sombre sur l’incapacité du deuil dans lequel s’insinue petit à petit un sentiment fantastique. Dans ses deux grands films, finalement les cloisons entre les deux tendances sont poreuses , juste un peu, juste assez pour provoquer un trouble. C’est là qu’ Ozon devient vraiment un grand cinéaste.