Il n’est pas certain que le passionnant documentaire d.’Yves Jeuland consacré à la personnalité hors du commun et largement controversée de Georges Frêche, président de la région Languedoc-Roussillon, redore l’image des hommes politiques et redonne confiance en leur action. En montrant des images brutes sans commentaires et sans interview directe, le documentariste rejoint ainsi le travail d’un Depardon sur Giscard d’Estaing (1974, une partie de campagne) et donne du coup à celles-ci une force et une signification qui se passent en effet de tout ajout d’analyse – ce que le spectateur se chargera bien d’effectuer lui-même.
On ne s’attardera guère sur l’aspect rabelaisien et gargantuesque, le plus connu, de Georges Frêche, allant jusqu’à avaler des post-it et bâfrant avec un plaisir manifeste. Animal politique d’envergure depuis plus de quarante ans, l’homme est entouré d’une équipe rapprochée qui le conseille, le materne, le cajole comme des fils respectueux et presque apeurés face à un père écrasant, à l’ego surdimensionné. Le film nous fait entrer dans la campagne pour les élections régionales de 2010 en suivant le candidat Frêche dans les réunions avec le staff – un groupe constitué d’hommes qui se singularisent par leur double menton, leur bedaine et un comportement somme toute vulgaire – et dans ses nombreux déplacements (meetings, émissions de télé, rencontres avec les journalistes, »). C.’est dans cette vie quotidienne que l’on imagine aisément épuisante que se dessine le portrait complexe de l’homme. Sans doute intelligent et cultivé, conscient de son habileté et de sa dureté, gages indéniables pour durer dans un milieu où traîtrises et » assassinats, » sont monnaie courante, Georges Frêche n’en apparaît pas moins comme un affreux cabotin, doublement obsédé par son projet d’ériger la statue des dix hommes les plus importants du vingtième siècle et par ses adversaires (Hélène Mandroux, en tête) à qui il veut rendre gorge vaille que vaille. Prétendant être proche de la population languedocienne et de ses préoccupations sociales, l’homme sait flatter son auditoire, s’inventer un passé difficile et jouer les victimes en rabâchant le couplet de l’opposition sixième arrondissement parisien versus reste du pays. On pourrait ainsi disserter longtemps sur les raisons de la longévité de sa popularité mais sa parole démagogique, provocatrice et parfois grossière doit sans doute y contribuer, comme son apparente simplicité et un mode de vie sans luxe ni ostentation.
C.’est davantage dans les silences, le constat de l’extrême lassitude qu’on se rend compte que Georges Frêche est en train de livrer son dernier combat et qu’il en a probablement conscience. Le spectateur est dès lors partagé entre la pitié à voir claudiquer et souffler un homme au bout de ses forces et l’irritation mélangée au respect à entendre les plaisanteries grasses et les mêmes idées fixes. Des sentiments contradictoires à l’image d’un homme qui ne laisse certes pas indifférent, véritable personnage romanesque, acteur formidable se vautrant avec délectation dans le rôle qu’il s’est lui-même écrit. Ce qui fait du Président un grand documentaire riche d’enseignement sur les moeurs politiques.
Patrick Braganti
Le Président
Documentaire français d’Yves Jeuland
Durée : 1h38
Sortie : 15 Décembre 2010
La bande-annonce :