Tout au long d’une année ponctuée par le passage des quatre saisons, le britannique Mike Leigh suit la vie d’un couple comiquement prénommé Tom et Gerri, lui ingénieur géologue, elle conseillère en psychologie, partageant un foyer très chaleureux où la cuisine est toujours succulente et l’accueil devenu une telle seconde nature qu’ils y reçoivent régulièrement leurs amis plus infortunés, dont l’envahissante et pleurnicharde Mary. Au travers de cette année, une de plus comme le souligne le titre Another Year, c’est à toute une succession de micro événements plus ou moins importants auxquels nous assistons (naissance, achat d’une voiture, présentation de la petite amie du fils de Gerri et Tom, décès et enterrement, le tout rythmé par les travaux au jardin du couple, endroit idéal pour marquer le passage des saisons). Par le biais du déroulement somme toute banal de l’existence de quelques personnes, c’est aussi une palette de sentiments que le réalisateur de Be Happy nous fait partager, avec la nette impression que ceux-ci perdent en légèreté et joie ce qu’ils gagnent en tristesse et gravité au cours d’une année dont il n’est pas difficile de voir qu’elle est aussi la métaphore de la vie entière.
D.’un dispositif très simple qui privilégie les scènes autour d’une table, le film déploie une analyse très fine et particulièrement cruelle (donc juste, ?) des relations humaines. On pourrait penser que la compassion et la bienveillance constituent les fondamentaux de Tom et Gerri, mais à y regarder de plus près, leur attention aux autres s’arrête exactement aux frontières de la cellule familiale resserrée autour de Joe, le fils couvé et choyé. Nous parlerons davantage ici de bonne conscience, comme si le couple aimant payait sa part du tribut de la misère sociale à écouter les jérémiades et les plaintes de leurs amis à qui ils offrent au final un chapelet de réponses bien pensantes et de lieux communs. Et à mesure que les situations s’aggravent, la présence du couple, accaparé par la nouvelle vie de leur cher rejeton, auprès de Mary s’estompe, presque au point de la rejeter à l’instant le plus délicat.
Another Year est donc un film très féroce, brillamment interprété – Lesley Manville qui endosse le rôle de Mary aurait très largement mérité son prix d’interprétation. Les dialogues ciselés aux petits oignons frappent fort, ce que démultiplie une mise en scène vive et réglée au millimètre qui transforme chaque repas en moments intenses, véritables petites scènes d’un théâtre familier. A cet égard, la position des convives révélée par un lent mouvement de caméra au cours du dîner final en dit beaucoup plus que de longs discours sur le déterminisme social qui finit par laisser chacun à sa place sans qu’un authentique lien fraternel et empathique ne soit tissé au-delà même des liens du sang. C.’est à la fois extrêmement juste et totalement désespérant.
Patrick Braganti
Another Year
Drame britannique de Mike Leigh
Durée : 2h09
Sortie : 22 Décembre 2010
Avec Jim Broadbent, Lesley Manville, Ruth Sheen,…
La bande-annonce :