Pour ceux qui désespèrent, à juste titre, d’un cinéma italien de plus en plus aseptisé, placé sous la coupe de la médiocrité façon Berlusconi, la vision du singulier et cocasse Le Quattro Volte sera d’un réconfort salutaire, tant on a affaire ici à un véritable projet cohérent faisant honneur à la notion même d’écriture cinématographique.
Construit sur le chiffre 4 – le titre se traduisant par les quatre fois – le film, à la frontière du documentaire et de la fiction, investit consécutivement les règnes fondamentaux qui constituent le monde, : l’humain, l’animal, le végétal et enfin le minéral. Le premier est représenté par un vieux berger – figure intermédiaire entre l’humain et le divin, première à connaître la naissance du Christ selon les évangiles – à l’article de la mort, le deuxième par un chevreau dont la naissance suit la mort du vieil homme, le troisième par un sapin majestueux, objet d’une tradition ancestrale, et le dernier par le charbon de bois notamment produit par la combustion du précédent. Ainsi détaillée, la logique reliant ces éléments apparaît évidente, mais ne saurait être uniquement perçue comme un artifice de scénario. Le réalisateur Michelangelo Frammartino ne place pas par hasard ses caméras dans les Serres, région boisée et reculée de la Calabre, où travaillent et survivent des communautés de bergers et de charbonniers, métiers qui ont disparu presque partout ailleurs. La quête du grand arbre coupé, débranché puis transporté entre les murs du village correspond ainsi à un rite ancien que le cinéaste s’approprie afin de l’inclure dans sa narration. Mais ce terme est-il le plus adéquat, au regard d’une oeuvre dépouillée de dialogues, hormis quelques borborygmes lointains et inaudibles, jouant beaucoup des sons utilisés comme échos au cours des quatre épisodes. Le Quattro Volte décrit donc un territoire à la frontière, celle qui sépare notre époque du passé illustré ici par des pratiques et des coutumes séculaires, celle qui confronte les croyances archaîques aux moeurs modernes. Paradoxalement, c’est la partie la plus conventionnelle, celle consacrée à l’humain, qui avec le recul des trois suivantes, semble la moins passionnante tant l’évocation magique et profonde des autres éléments nous entraîne sur des sentiers rarement empruntés. Il faut également ajouter que le film n’est pas dépourvu d’un humour inattendu qui allège l’ambiance solennelle, mais nullement ennuyeuse ou lourde.
Le Quattro Volte se révèle une oeuvre limpide, interrogeant sans didactisme ni ostentation le contemporain au travers de l’examen drôle et poétique des usages d’une communauté villageoise au coeur de la Calabre et finit par porter en triomphe la matière, au détriment de l’objet, qui ne meurt pas mais ne cesse de se transformer.
Patrick Braganti
Le Quattro Volte
Drame italien de Michelangelo Frammartino
Durée : 1h28
Sortie : 29 Décembre 2010
Avec Giuseppe Fuda, Bruno Timpano, Nazareno Timpan,…
La bande-annonce :