D’un avis mitigé à une opinion défavorable, Même la pluie rince les deux chroniqueurs, certes pas nés de la dernière.
Le cinéma espagnol contemporain semble affirmer des thématiques fortes et une solidité dramaturgique qui en font, au-delà des grands auteurs comme Amenabar et Almodovar, l’une des cinématographies les plus abouties et, à grande échelle, l’une des plus dignes d’intérêt. Peut-être même est-ce d’Espagne d’où vient une véritable renaissance là où beaucoup parlent d’une grande vague italienne (vite disparue après Gomorra et les films de Sorrentino), ou roumaine (une école rigoureuse qui n’a jusque-là pas brillée par son détachement aux habitudes instaurées par le style de quelques cinéastes-clés).
Qu’il s’agisse du cinéma d’épouvante qui renoue avec un superbe classicisme (L’orphelinat), ouvre de nouvelles voies esthétiques (REC) ou expérimente des possibilités brillantes de mise en scène (le récent Les yeux de Julia), ou encore qu’il s’agisse de films multi-genres aux accents politiques (Cellule 211), toutes ces oeuvres aux identités affirmées ont pour point commun un penchant évident pour la tragédie antique et donc l’opposition entre sentiments et raison humaine. Cet engouement semble d’ailleurs valoir au-delà de l’Espagne pour s’étendre sur toutes les terres latines (l’Argentine avec les chefs-d’oeuvre de Pablo Trapero, le Mexique fantaisiste de Guillermo Del Toro ou celui, plus âpre et architectural, de Inarritu, sans oublier le dramaturge hors-pair qu’est Carlos Reygadas). Même l’Equateur, synonyme d’une absence de films exportés, sonnait en 2010 une arrivée triomphale avec la pépite Rabia de Sebastian Cordero.
Dans Même la pluie, scénarisé certes par le britannique Paul Laverty, il découle ce même besoin de tragédie puisée dans la profondeur des réalités et des mythes. La réalité ici, c’est les faits survenus il y a maintenant dix ans d’une privatisation générale de l’eau par l’état de la Bolivie tenant à supprimer les courants exploités par les puits artisanaux d’un peuple abandonné à la sécheresse. Le mythe que Laverty choisit de mettre en parallèle, c’est le cinéma ; la mise en abyme d’un tournage d’envergure autour duquel gravitent des exigences financières de taille. Ce n’est pas un hasard si le film en question est une reconstitution de la découverte de Christophe Colomb sur les terres indiennes. Ce que le film oublie malheureusement, comptant sur la simple lucidité du spectateur, c’est de créer un lien visuel symbolique entre l’exploitation des indiens par Colomb et celle d’un peuple bolivien oppressé par les dirigeants gouvernementaux tout comme les dirigeants du film qui profitent de leur faible revenu pour payer la figuration la moins chère au monde. La toile que tissent Laverty et Iciar Bollain (à la mise en scène), est celle d’un film complexe qui tend à dénoncer d’un côté l’hypocrisie artistique et sa démesure quasi-meurtrière (jusqu’où les préoccupations d’un metteur en scène peuvent dépasser les besoins vitaux d’un peuple), et de l’autre les instabilités politiques qui meurtrissent le pays. Même la pluie ne se détache parfois pas assez du côté moralisateur que pouvait induire un tel récit, et c’est dommage. Mais la force concentrée des thématiques et la conscience temporelle du scénario à élaborer avec précision chaque idée donnent au film un intérêt qui dépasse de loin le simple mélodrame de la bonne conscience. On ne peut pas lui en vouloir de jouer sur le pathos tant il le fait avec efficacité et qu’il existe une dénonciation simple et essentielle à la clé. On peut en revanche être un temps décontenancé par l’envie du film de se concentrer sur la modernité du tournage plus que sur la beauté de la reconstitution qu’il offre par moments, par trop irréelle avec ce que le film tend à nous dire en face. Quelques séquences extrêmement fortes ont pour but de rendre compte de tout le chemin pris par le scénario (par exemple, la séquence de sauvetage en pleine guerre civile nous rappelle comment les choses ont dérapé avec subtilité), parfois gâchées par des coupes un peu brutales qui surviennent pour briser l’émotion, comme par peur de ne pas assumer le mélodrame que cache cette aventure désespérante. L’humanité – sombre ou lumineuse – des personnages, la noblesse des dialogues et des situations fournissent un véritable terreau fictionnel en contrepoint d’une réalité abrupte. On regrette alors que le scénario force trop sur cet aspect fictionnel en ne trouvant pas de véritable justification au renversement moral entre Sebastian le cinéaste et Costa le producteur, l’un passant de l’humanisme à la fuite et l’autre de l’exploitation ignoble à l’héroîsme. Certains détails sont censés couler de source mais on aimerait les comprendre de manière plus approfondie. Tout comme l’idée malheureusement abandonnée de l’assistante qui, au détour d’un dialogue demande la permission de filmer avec sa caméra-reportage un documentaire sur les évènements réels autour de la privatisation et les réactions du peuple : c’est quasiment le seul personnage féminin qui, du coup disparaît puisque le scénario ne trouve pas de réponse à cette action avortée. Le film y aurait peut-être gagné en puissance dans sa construction pourtant satisfaisante, et il aurait enfin trouvé matière à dire de façon crue et sans affects le sort d’un peuple opprimé par l’injustice gouvernementale.
En l’absence de ce type de séquences parallèles, le film s’appuie sur une représentation très symbolique du sort des boliviens et de leur affrontement. Notamment cette séquence étonnante où les soldats de Colomb brûlent au bûcher des indiens qui, en réalité sont des boliviens mourant de soif. Grâce à tous les comédiens (dont l’épatant Luis Tosar, déjà vu dans Cellule 211), Même la pluie prend son envol et une partie de son intérêt. L’ambigüité qu’offrent les acteurs à leurs personnages, la façon dont Christophe Colomb est tout à la fois Colomb et un acteur anonyme, séduisant d’observation et de mutisme face au dérèglement progressif de l’équipe et du tournage, donnent au projet une part importante de sa valeur. Le film se finit presque banalement, sur le paysage urbain de la ville défilant par les fenêtres d’un taxi. Il semble manquer une conclusion, peut-être les apparitions surréalistes de ces figurants dans le rôle qu’ils jouent, certes dérisoire face à celui du combat de leur vie, mais voilà qui aurait pu sortir le film d’une certaine non-manifestation esthétique. C’est ici que le symbole aurait du oeuvrer tout simplement, dans un final en chevaux, pagnes, lances et visages peints à l’ancre ; ici alors la réalité première du film aurait rejoint un mythe magicien et salvateur pour nous donner la mémoire.
Jean-Baptiste Doulcet
Sous prétexte de se pencher sur des thématiques passionnantes, : la mission du cinéma comme le vecteur de la révélation et de la divulgation des maux du monde, la cohabitation de sentiments contradictoires comme la conscience, l’intégrité ou le cynisme et l’opportunisme, la réalisatrice et scénariste madrilène Icàar Bollaàn ne parvient pas avec Même la pluie à livrer autre chose qu’un film terne, multipliant les invraisemblances et faisant preuve à la fois d’un manichéisme simpliste et d’un angélisme navrant qui impriment à son long-métrage un aspect consensuel et tire-larmes, à la recherche d’émotions faciles, qu’il finit par susciter d’évidence.
Pourtant l’idée de départ est accrocheuse, : l’équipe d’un film relatant les premières arrivées de Christophe Colomb sur les terres du Nouveau Monde s’installe à Cochabamba dans les montagnes boliviennes et se retrouve confrontée, puis étroitement mêlée, à des émeutes de la population s’opposant aux autorités locales et à la multinationale désignée pour gérer la concession des eaux qui leur est défavorable. On devine aisément les passerelles que jette un tel scénario, : entre deux époques, deux communautés : celle très cynique et matérialiste du cinéaste et de son producteur, flanqués de leurs comédiens et techniciens, soudain rapprochée de celle des autochtones en lutte, dont certains ont été recrutés à moindre coût pour faire partie du générique. Hélas cette dualité fondatrice tombe vite à plat. Le principe du film dans le film, pour attrayant qu’il puisse paraître, nécessite pour le coup deux traitements esthétiques qui permettent de différencier l’histoire principale et le tournage qui lui sert de toile de fond. Hormis les artifices logiques des costumes et des éléments de décor, les cadres et surtout la photographie convergent, provoquant une impression désagréable de flou et d’indifférenciation. Mais, pis encore, l’accumulation des clichés et des bons sentiments effraie, : du comédien vedette grande gueule et ivrogne au producteur mesquin, à la rédemption aussi soudaine que risible, la réalisatrice du plus convaincant Rabia ne se débarrasse jamais ni des lieux communs ni des bons sentiments qui finissent par affadir le propos.
Le projet du film en tournage, retraçant aussi la révolte et l’émancipation des Indiens refusant aux XVe et XVIe siècles la domination espagnole, sous-entendrait la personnalité forte et charismatique d’un cinéaste suffisamment engagé, au moins ébranlé par les événements violents auxquels il assiste, ne serait-ce que par rapport aux conséquences qu’ils signifient pour lui. D.’ailleurs, on saisit de plus en plus qu’il ne s’agira que d’une sorte de grosse production censée lui apporter la célébrité, nullement un brûlot revendicatif à des desseins de dénonciation. Au-delà même de sa plate mise en scène, versant dans le pathos, en oblitérant les véritables enjeux pour les réduire à des vignettes folkloriques, Même la pluie se révèle une cruelle déception et une amère désillusion pour tout cinéphile digne de ce nom, : ainsi l’art qu’il chérit et place au-dessus de tout serait devenu inapte à assumer sa fonction politique et sociale pour se cantonner à celle, autrement plus restrictive, du divertissement standardisé. A l’heure des embrassades finales, symptômes lénifiants d’une réconciliation hasardeuse, donc suspecte, le septième art ne tire décidément aucune épingle d’un jeu pipé et convenu. Dont on sauvera néanmoins, avec le double plaisir de son statut et de sa représentation à l’écran, le magnétique Carlos Aduviri.
Patrick Braganti
Même la pluie
Drame historique mexicain de Iciar Bollain
Durée : 1h43
Sortie : 5 Janvier 2011
Avec Gael Garcia Bernal, Luis Tosar, Carlos Aduviri,…
La bande-annonce :
Super ! Merci beaucoup j’en avais besoin pour mon histoire des arts ! :)