À quatre-vingts ans passés, on peut aisément comprendre et accepter le questionnement légitime du cinéaste Clint Eastwood sur la mort, et plus précisément, sur des sujets comme l’existence ou non d’un au-delà , la possibilité ou non du deuil et l’influence fantasmée ou réelle des êtres disparus sur l’existence des vivants. Des interrogations qui trouvent en toute logique un écho en chacun, du fait de son propre vécu.
Depuis une petite dizaine d’années, on adjoint à juste titre le qualificatif †œ crépusculaire † au cinéma du réalisateur de Million Dollar Baby. Il paraissait dès lors que Au-delà posséderait de manière intrinsèque et consubstantielle cette qualité inhérente au thème traité. Il faut hélas constater que l’histoire en trois volets (à Paris, San Francisco et Londres) servant à véhiculer, sinon à promouvoir, un vague prêchi-prêcha où il est surtout de question de communication avec les disparus et l’au-delà , outre qu’elle ne convainc jamais ni provoque le moindre ébranlement de nos convictions, déçoit largement quand elle ne finit pas par susciter une certaine gêne quant aux thèses exposées. Comme l’expatriation européenne n’avait guère réussi à son collègue Woody Allen, ne s’éloignant jamais en vérité des clichés et des lieux communs, elle engendre ici les mêmes poncifs. l’épisode français centré autour du personnage de Marie Lelay, journaliste de télé, traumatisée par le tsunami asiatique, se révèle au final une accumulation de scènes caricaturales tuant dans l’oeuf leur crédibilité, à quoi il faut aussi ajouter l’interprétation assez médiocre de Cécile de France. Si l’étape américaine retient davantage l’intérêt, en dépit de digressions autant dilatoires qu’inutiles (les cours de cuisine italienne constituent là encore un stéréotype supplémentaire), le jeu sobre de Matt Damon et les tourments de son personnage, George Lonegan, doué d’un pouvoir médiumnique qu’il assimile plus à une malédiction qu’à un bienfait, y contribuent largement. C.’est sans doute à Londres, où les trois trajectoires convergeront de façon trop artificielle et volontariste, que Au-delà réserve ses plus belles scènes et ses plus forts moments d’émotion, certes extrêmement facile et prévisible. Dans la séquence britannique, l’atmosphère créée n’est pas sans rappeler bizarrement l’univers d’un des plus illustres auteurs autochtones, : Charles Dickens, que d’ailleurs George Lonegan admire énormément. Mais pour plaisante et attendrissante qu’elle soit, cette référence inattendue et quasiment inopportune imprime un aspect désuet et anachronique, qui laisse penser que la vision de Clint Eastwood se synchronise décidément mal avec les réalités européennes contemporaines.
Hormis quelques scènes (dont la reconstitution époustouflante du raz-de-marée indonésien), Au-delà ennuie et irrite largement par des circonvolutions de scénario insipides, par l’incapacité manifeste à ne pas approfondir son sujet résumé à des connections confondantes de naîveté et de banalité avec le monde des morts. Le film ne semble jamais avoir les moyens, non pas techniques, mais d’écriture et d’inspiration, ni les ambitions assumées qui témoigneraient d’un véritable regard et d’une opinion tant soit peu élaborée et argumentée sur la problématique sur laquelle il entend se pencher. Très décevant de la part d’un réalisateur sans conteste talentueux, même si son classicisme revendiqué et ses positions conservatrices, voire réactionnaires, peuvent en déranger plus d’un, nul doute que Au-delà ne passera pas à la postérité.
Patrick Braganti
Au-delà
Drame américain de Clint Eastwood
Durée : 2h08
Sortie : 19 Janvier 2011
Avec Matt Damon, Cécile de France, Thierry Neuvic,…
La bande-annonce :