On était sans nouvelles de Peter Weir depuis Master & Commander, film sur les batailles maritimes à l’époque où sur les mers voguaient les flottes napoléoniennes. Aujourd’hui le cinéaste australien fait face à un autre grand sujet historique, un fait réel resté dans l’ombre mais dont la part symbolique qu’il évoque dans un langage aussi large que le cinéma ne cache pas les ambitions humanistes de son metteur en scène.
Les Chemins de la liberté est une longue épopée sur la quête de liberté de sept rescapés d’un goulag au fin fond de la Sibérie, et dont la fuite va les mener à marcher jusqu’en Inde, traversant vents et marées, pays en feu et climats glacés. On pourrait définir le film comme une errance à grand spectacle, c’est-à -dire une marche sans fin, qui semble sans libération sinon morale puisqu’elle appelle à une liberté totale. C’est un péplum de la survie où des gladiateurs à nu se battent dans l’arène du Monde et de la Nature. Le sujet aurait certainement plus inspiré Terrence Malick que Peter Weir, qui cède parfois trop au film d’aventure et au divertissement performant (oubli des tensions de groupe, de la psychologie, humour formaté et évocations identitaires trop floues). Pour autant la maîtrise filmique de Peter Weir n’est pas à démontrer, mais il me semble qu’il est un cinéaste bien plus efficace et bouleversant dans des sujets de pure imagination (The Truman Show, l’un des grands scénarios des années 90 signé Andrew Niccol), que dans les grandes lignes historiques et mélodramatiques. La richesse que le film offre est finalement d’un autre niveau ; elle n’est ni réellement de l’ordre de la technique ou de la distribution, mais plutôt dans la largeur splendide des paysages, ce qui est un défaut car le paysage est bien l’unique élément d’un film qui n’a pas besoin de metteur en scène pour exister. La largeur des mouvements, des survols, la mécanique très évoluée du matériel donnent l’impression de saisir l’immensité du point de vue de ces minuscules êtres humains. C’est ce qui donne à l’imagerie de l’oeuvre sa part d’Odyssée et de grandeur, son souffle et sa maîtrise.
Au-delà , malgré la superbe présence de Ed Harris et les envolées lyriques de la musique (enfin utilisée à bon escient contrairement à ce que l’abondance de grands paysages évoque généralement aux compositeurs), Les chemins de la liberté se prive de l’essence de son sujet, à savoir l’universalité du propos. Les images d’archive qui viennent clore l’aventure ne suffisent pas à nous rappeler à quel point les répercussions historiques agissent dans le temps jusqu’à nous parvenir directement. Du moins cela sonne comme un détail car Peter Weir semble filmer du reste l’aventure pour l’aventure, sans jamais opposer le besoin des personnages (leur désir et leur survie) à une ambigüité conséquente ; en réalité le seul personnage à nous faire espérer un quelconque rebondissement autre que naturel – Valka, interprété par un Colin Farrell savoureusement dérisoire – disparaît très vite de la dramaturgie en ligne droite du film. Le problème de la fresque de Peter Weir, c’est qu’elle semble reposer uniquement sur une conscience géographique qui le fait mener des personnages d’un point A à un point B. On ne s’ennuie pas trop, il y a de belles choses, un certain élan mais il manque sans doute la substance humaine à ce drame inspiré de faits réels mais qui, au cinéma, sonne comme une marche improbable, parfois au bord de l’onirisme mais sans aucune portée métaphorique ou politique. Alors que ces héros méconnus de l’Histoire ont traversé le monde, on ne sent à aucun moment dans le film une pensée de voyage au sens du dialogue et de la découverte. Il n’y en a que pour la survie, comme ces films à effets qui contaient dans les années 50 les mésaventures héroîques des explorateurs américains. J’ai entendu dire avant la projection que Peter Weir était un cinéaste qui ne recourait à aucun effet malgré l’ampleur de son film, pourtant il me semble que si le style est sobre pour le genre, son absence de détails psychologiques en fait paradoxalement un film sûr de lui dans sa cible du spectaculaire, donc à peu près un film à (gros) effets.
Si la question de l’effet et du pathos est vrai dans The Truman Show (leur présence est valable puisqu’elle devient le moteur ironique du film et donc son propos), ici l’approche ne fonctionne qu’à moitié. Le film se pose comme un gros morceau de bravoure tout à fait sympathique mais décevant tant Peter Weir échoue à exposer sur l’écran son immense sensibilité. La preuve qu’elle existe, c’est qu’on la retrouve lors de trois séquences magistrales où renaît la force de sa mise en scène que l’on croyait parfois perdue derrière la façade gigantesque du projet ; il y a vers le début la scène dans la mine, peut-être trop courte mais d’une force étouffante. Vient ensuite une sublime vision de mort dans le froid glacial d’une forêt, et enfin la mort de Irena dans le désert, point culminant du film. Dans les trois cas le champ-contrechamp y devient une parole mortuaire qui rend le passage vers la mort d’une cruelle douceur. Peter Weir, face à la fatalité, tient l’émotion de son film avant qu’elle ne s’évade dans les si grands espaces de la Nature…
Jean-Baptiste Doulcet
Les Chemins de la liberté
Film d’aventure américain de Peter Weir
Durée : 2h14
Sortie : 26 Janvier 2011
Avec Jim Sturgess, Ed Harris, Saoirse Ronan, Colin Farrell…
La bande-annonce :