Dans la première adaptation du roman True Grit de Charles Portis, Cent Dollars pour un shérif (qui valut d’ailleurs à John Wayne le seul Oscar de sa carrière), le rôle principal de Mattie Ross avait été confié à Kim Darby, alors âgée de vingt-deux ans, propulsant du coup dans l’état adulte une héroîne censée être une jeune adolescente.
Avec cette nouvelle version signée de Joel et Ethan Coen, la jeunesse très mature de la récente orpheline décidée à retrouver l’assassin de son père est respectée dans le choix du casting et devient même la caractéristique majeure du film. Forte de sa volonté et de sa détermination à toute épreuve, ne doutant de rien du haut de ses quatorze printemps, Mattie Ross recrute un vieux marshal alcoolique et borgne pour pister en territoire indien le tueur, déjà recherché par un Texas Ranger attiré par une belle récompense. Le canevas est d’apparence très classique qui, autour du trio composé malgré lui, permet d’empiler les scènes typiques de la mythologie du western, : errances à cheval, bivouacs autour d’un feu, chevauchées guerrières et chargeurs vidés. En s’appropriant les codes archi connus et balisés du western, les frères Coen parviennent à les faire passer dans leur propre moulinette créative et, dès lors, on n’est pas surpris de retrouver l’atmosphère décalée et ironique de leurs longs-métrages précédents. Étrangement, True Grit se montre particulièrement bavard. l’art de la négociation et de la dialectique semble partagé aussi bien par la jeune Mattie que par les deux briscards qui l’accompagnent. Nous sommes plongés dans un monde où tout se marchande, : chevaux, poneys, contrat de travail, passage d’une rivière, mais aussi mort et enterrement. l’adolescente possède une capacité de raisonnement associée à une froideur calculatrice qui paraît illogique, comme inappropriée à son âge, mais petit à petit, en dépit de l’intensité et de la violence de l’odyssée, Mattie Ross recouvre le visage innocent et parfois naîf de son enfance, faisant preuve d’une candeur et d’un charme qui désarment les deux hommes. Le langage omniprésent et plutôt alambiqué à certains endroits s’entend parfois à double sens, notamment entre Mattie et le sémillant Texas Ranger, imprimant à leurs échanges le ton parfois léger et équivoque du badinage amoureux, tandis que le vieux marshal, quand il ne cuve pas son whiskey, retrace le parcours chaotique et agité de sa vie passée.
Grands espaces désertiques, embuscades et règlements de comptes, bandits à la mine patibulaire et au cerveau ramolli, tout rappelle d’évidence les composantes légendaires du western, genre devenu aujourd’hui mineur dont les réalisateurs de No Country For Old Men jouent avec talent (photo magnifique) et distanciation. Après une mise en situation inhabituellement longue précédant l’expédition punitive, True Grit se conclut par un épilogue bien des années plus tard. Qu.’il prenne place au milieu d’un cirque n’est probablement pas fortuit, comme la métaphore de l’avilissement et de l’anéantissement du rêve des pionniers américains. Terminer sa carrière de justicier aux méthodes certes contestables au sein d’un cirque itinérant et sans réelle ambition n’est pas la moindre des pirouettes jubilatoires qui émaillent le film, lequel demeure avant tout un agréable divertissement.
Patrick Braganti
True Grit
Western américain de Joel et Ethan Coen
Durée : 2h05
Sortie : 23 Février 2011
Avec Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin, Hailee Steinfeld,…
La bande-annonce :