Dans Mondovino (2004), le cinéaste et scénariste Jonathan Nossiter à travers l’industrie viticultrice dressait un tableau d’une certaine mondialisation se caractérisant par l’uniformisation du goût, dictée en l’occurrence par les richissimes et influents exploitants de la Napa Valley californienne, eux-mêmes épaulés et conseillés par des oenologues imposant leur propre vision du vin. Le réalisateur globe-trotter avait promené sa caméra et son regard volontiers ironique et acéré aux quatre coins du monde. Installé depuis quelques années au Brésil avec femme et enfants, il choisit l’effervescente mégapole Rio de Janeiro comme unique décor de son dernier film Rio Sex Comedy. Ne rompant pas avec la forme hybride qui mixe étroitement documentaire et fiction, il imbrique avec plus ou moins de maîtrise la trajectoire de trois personnages étrangers que les énormes disparités singularisant la ville interpellent, fascinent et renvoient à leurs propres existences d’Occidentaux privilégiés. Un ambassadeur américain qui fausse compagnie et se réfugie au sein d’une favela, une sommité de la chirurgie esthétique confrontée aux demandes frénétiques de remodelage et de rajeunissement, une anthropologue interrogeant des femmes modestes qu’elle assaille de questions indélicates et envahissantes. Chacun à sa manière, avec son vécu et l’expertise de son métier, se coltine aux réalités contradictoires et surprenantes. Le diplomate envisage la création d’une organisation humanitaire, la chirurgienne décourage ses patients à modifier l’aspect de leurs traits même vieillissants et la scientifique s’amourache de son beau-frère cameraman.
C.’est un film plutôt décousu, partant dans plusieurs directions, qui font cohabiter les sujets de société avec les sphères privées des personnages. S.’il y est beaucoup question de l’importance viscérale que les Cariocas entretiennent avec leurs corps, ainsi que de l’espace de non-droit constitué par les favelas et leurs gangs, le film dévie aussi sur des considérations plus métaphysiques à propos de l’amour, et plus précisément de la difficulté à le faire durer. En dépit de quelques longueurs et de passages moins convaincants, le film réserve de beaux moments, à la poésie subite et à la grâce miraculeuse. Charlotte Rampling, élégante et pince-sans-rire, apporte son talent et offre au film sa plus belle scène lorsqu’elle partage avec une vieille Brésilienne pleine de sagesse un verre de vin et un énorme cigare. Incroyablement vivant et tonique, le film nous plonge dans l’agitation de Rio, des quartiers touristiques de Copacabana au coeur des favelas labyrinthiques et surpeuplées. Souvent loufoque et foutraque, cultivant avec bonheur et énergie le mélange des genres, Rio Sex Comedy prend parfaitement le pouls (très) rythmé de la ville-monstre, dont il décortique avec jubilation, et peut-être avec moins de légèreté et de nonchalance qu’il n’y paraît, la fantasmagorie qui l’entoure, en renvoyant dos à dos touristes en mal de sensations fortes et autochtones rusés, posant sur tout cela un regard lucide et sans apitoiement.
Patrick Braganti
Rio Sex Comedy
Comédie française, brésilienne de Jonathan Nossiter
Durée : 1h51
Sortie : 23 Février 2011
Avec Charlotte Rampling, Irène Jacob, Bill Pullman,…
La bande-annonce :