Qu’il est loin de le temps de Melancholic ecstasy premier album de Jullian Angel, alors artisan éclairé d’une électro pop bricolée presque joyeuse. Le Lillois est tellement à l’aise dans un songwriting folk écrit à la guitare acoustique que l’on ne peut l’imaginer autrement et ce Kamikaze Planning Holidays semble être pour lui l’album de la maîtrise et de la maturité.
Juste avant, Jullian Angel avait fait ressortir son côté le plus intimiste et sombre dans le dépouillé For A Ghost (in a room session). Ce retour à la base même de la folk, d’un songwriting qui ne permet pas de tricher, a été sans doute nécessaire pour se ressourcer et aboutir aujourd’hui à ce petit bijou. , Pour, Kamikaze Planning Holidays, Jullian Angel n’a pas changé sa guitare d’épaule (l’album a été écrit, produit, joué, enregistré et mixé par ses soins et il fait la part belle à l’acoustique) mais le Lillois a rajouté ensuite les quelques éléments qui vont transcender totalement sa folksong. L’ambiance n’est pas encore folichonne mais à l’instar de Life was the answer, son deuxième album, les arrangements sont plus riches. Avec ce nouvel album, Jullian Angel passe même maître de la frappe émotionnelle chirurgicale : il y a en apparence peu d’instruments ou de sonorités rajoutées en plus de sa voix et de sa guitare. Mais ils sont subtilement agencés, parfaitement ressentis, utilisés avec une économie de moyen certes mais une intelligence harmonique rare et sous leur impulsion, le changement est tout simplement stupéfiant. Chaque morceau devient un modèle de tension latente et exprime des sentiments forts et ambivalents.
Le Lillois aime varier les plaisirs et ne fait pas de copier coller de la même recette : il a ainsi recours à différents instruments acoustiques (un mélodica, un harmonica, un banjo ou une flûte tenue par Valérie Leclerc d’Half Asleep, également choriste sur quelques titres), à une guitare électrique qui souffle ou bourdonne au loin ou , peaufine des effets qui tapisse , sa musique de sonorités électroniques flottantes (White on red, Faith), . En plus, le bonhomme est original, utilisant souvent , de manière bancale et désaxée mais étrangement expressive ses instruments ; comme des cymbales sonnant de manière désordonnée sur Years and seconds, comme la tension chaotique naissant d’un drôle de tintamarre, sur, Modern Tragedy. Jullian Angel fait d’ailleurs de certains défauts sa grande force, l’exemple le plus criant étant sa voix elle même qui mâchouille en anglais plus qu’elle n’articule et qui paradoxalement rend la présence du Lillois encore plus humaine, encore plus touchante.
Inutile de tout détailler de cette alchimie Angel-ienne (on pourrait dire »angélique » si l’atmosphère n’était si souvent sombre) qui le singularise par exemple de Leonard Cohen, , Nick Drake, Mark Eitzel ou du REM de Murmur auquel il peut faire penser. De toute manière, , la liste serait au final longue de ces ajouts qui font de chacun de ses douze morceaux des moments d’exception (citons juste les deux titres les plus pop du disque : The Strong et Saved by the Monster). Et puis, l’important avant tout dans la musique de Jullian Angel, c’est l’émotion, qu’elle procure, au niveau de l’épiderme de l’auditeur. Et de ce côté-là , c’est parfaitement réussi.
Denis Zorgniotti
Label / Distribution : Les Disques Normal
Date de sortie : 14 février 2011