Petite fable sociale bucolique sur la proximité et la découverte d’une mentalité et d’une humanité que certains ne soupçonnent pas, la comédie de Philippe Guay constitue un joli petit film en forme d’étude ouverte sur la tolérance. Le scénario se résume globalement sur la conception du huis-clos et l’aménagement de l’appartement suivant les étages ; celui de Jean-Louis Joubert, petit bonhomme gentil et marié à Suzanne Joubert, et Suzanne Joubert, petite bourgeoise inutile et mariée à Jean-Louis Joubert.
Les Femmes du 6ème étage parle du regard que l’on porte sur ce qui nous entoure, ou comment les hommes et les femmes sont capables à un moment de se détacher du matérialisme qui sécurise leur existence pour s’abandonner aux bras de l’aventure et de la douce folie. C’est une sorte de retour vers la jeunesse dont traite le film par la découverte de plusieurs femmes de ménages espagnoles qui vivent en communauté en haut d’un bel appartement qui offre ses volutes et moulures aux nouvelles générations d’aristos à la mode. Ce n’est pas pour rien que le film se passe dans les années 60 ; premièrement parce qu’il permet à son réalisateur de mettre une distance à notre actualité tout y en faisant clairement écho à divers moments. Ensuite parce que c’est l’assurance pour le spectateur d’être dépaysé par le changement d’époque, et cette fois point de reconstitution léchée et tape-à -l’oeil (Dieu merci!), le minimum syndical guide le film, et quelques décors aménagés (un salon, une chambre, un couloir) suffisent à nous faire comprendre qu’il s’agit d’une décennie d’autrefois. Philippe Le Guay évite de nombreux écueils qui auraient pu être de redoutables pièges ; non seulement le ton naîf de son film n’est jamais irritant, car il le maîtrise autant dans sa drôlerie apparente que dans sa profondeur tapie, mais en plus les dialogues et situations ne tombent jamais dans le film de la gauche vulgarisée, avec compassions multiples et morales humanistes.
Bien sûr le film affiche sans hésitation son propos et son angle d’attaque, mais il le fait adroitement, toujours dans une attitude modérée qui fait son charme modeste. Car c’est de la compassion, la prise de conscience et la mise en action des propos dont traite ce film. A la figure angélique de Jean-Louis, parfois traitre tant il profite de l’existence des espagnoles pour vivre la nouvelle vie dont il a toujours rêvé, s’oppose celle, beaucoup plus triste et réelle, de sa pimbêche de femme. Finalement Le Guay ne juge pas ses personnages, car il va au-delà des apparences et met sur un même pied d’égalité les valeurs morales de chacun tant qu’elles se transforment. Son film semble reprendre la célèbre maxime anonyme qui dit que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Le film a parfois ses travers, qu’il s’agisse du final trop romancé ou des caricatures épaisses des deux enfants tyranniques qui dominent les servantes. Mais il y a là des surprises de taille ; quelques échappées magiques dans cette fantaisie aux tons variés, comme ce plan d’une espagnole nue et le regard ébahi de Fabrice Luchini qui l’observe avant de se rendre compte à quel point sa femme est morose et sans âme. Il y a aussi les métamorphoses touchantes de Sandrine Kiberlain, qui ne restera pas ancrée jusqu’au bout dans son rôle de potiche libérée par le vent léger des années 60.
Les Femmes du 6ème étage sonnerait presque comme un préambule soft aux utopies féériques de Woodstock, tant la libération d’une dynastie encastrée dans ses meubles en vieux chêne a parfois des airs de plaisir simple, de nouveauté et de découverte. Il ne s’agit pourtant pas d’un grand film tant parfois Le Guay semble ne pas creuser plus loin que ce que le thème nous inspire par avance. Peut-être joue-t-il trop sur l’affect mais ses portraits, pourtant catastrophiques durant les vingt premières minutes en forme de téléfilm pour séniors, se décontractent et la lucidité avec laquelle le récit parle d’humanité et de politique a de quoi servir l’émotion pourtant discrète du film. Les Femmes du 6ème étage est un vague aperçu d’émotion, un film charmant et rythmé, joué dans l’art du bon mot et des observations judicieuses. Il en résulte une humanité à fleur de peau, parfois si idéaliste qu’elle en devient nécessaire. Et sous ses allures d’oeuvre bobo, le film raconte une part de notre monde et de notre époque, la mondanité et les faux-semblants, les gestes et les regards, l’amour qui se dégrade et l’apprentissage d’une culture, le tout sous la métaphore si cocasse d’un oeuf à la coque.
Jean-Baptiste Doulcet
Les Femmes du 6e étage
Comédie française de Philippe Le Guay
Durée : 1h46
Sortie : 16 Février 2011
Avec Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain, Natalia Verbeke, Carmen Maura,…
La bande-annonce :