On l’admet sans réserve, : la perte d’un jeune enfant, fût-elle accidentelle ou liée à une maladie incurable, constitue le drame le plus épouvantable à surmonter pour des parents, avec en corollaire deux grandes interrogations, : comment y survivre et le couple peut-il lui-même échapper à son extinction programmée. Il faut d’ailleurs lire sur ce douloureux sujet les récits déchirants de Philippe Forest, dont l’enfant éternel et Toute la nuit hantent durablement le lecteur. Le principe intrinsèque de la douleur est qu’elle est d’abord personnelle, propre à chacun et qu’elle rend dès lors caduque toute idée de communication et de partage. Le constat atroce de l’incommunicabilité, donc de l’impossibilité à formuler, et encore moins à rendre perceptible à l’autre, prend une dimension supplémentaire à l’intérieur d’un couple, similairement et conjointement frappé par la disparition soudaine de leur unique enfant. C.’est exactement dans cette situation que se trouvent Howie et Becca, trentenaires aisés, qui, huit mois auparavant, ont connu l’effroyable cataclysme de la perte de leur fils Danny.
Il y a cinq ans l’américain John Cameron Mitchell réalisait le décapant Shortbus, portrait au vitriol d’un groupe de new-yorkais à la sexualité débridée et aux moeurs guère conventionnelles. À cette époque, on avait loué à juste titre l’esprit de liberté qui entourait le long-métrage, abordant de manière à la fois frontale et légère les questions épineuses de l’identité sexuelle. On est donc aujourd’hui surpris que le réalisateur ne renoue pas avec la finesse dont il fit preuve auparavant. S.’il est difficile, sinon impossible, d’insuffler légèreté, distance, voire humour, dans un sujet tragique, il n’est pas néanmoins nécessaire de l’inscrire dans un schéma si convenu et si policé. Non pas que les personnes à l’abri de tout souci matériel ne puissent être épargnées par le drame, mais c’est comme si celui-ci revêtait moins d’importance ou portait moins de conséquences. Mauvais procès d’intention, peut-être, mais lorsque Becca (Nicole Kidman plus souvent tête à claque que femme éplorée donnant envie d’être plainte) déclare que la vie n’est plus supportable, nous devons bien avouer que nous avons peine à la croire. Où s’expriment , ici la douleur, l’impossible consolation, le rejet des autres (mari, mère, soeur et amis), ? Les invectives que Becca et Howie s’envoient à la figure (Aaron Eckhart un cran nettement au-dessus de sa compagne de jeu) sonnent étrangement faux, tout comme paraît artificiel le rapprochement avec le jeune homme responsable de l’accident qui provoqua le décès de Danny, surligné par la symbolique pour le moins lourdingue de la bande dessinée qu’il est en train de créer. De la même façon, les incartades de Howie, sous couvert de transgression (fumer du shit ou envisager de tromper sa femme) font long feu et tout finit par rentrer dans l’ordre très rapidement.
À grands renforts de violons, d’esthétisme sirupeux (tout est beau et léché dans le film), John Cameron Mitchell rate son objectif en provoquant, à force d’afféteries et de consensus, la désincarnation de l’histoire. En 2007, le français Gaël Morel mettait en scène sur un thème similaire Après lui, oeuvre nettement plus noire, douloureuse et transgressive que le très lisse Rabbit Hole, dont l’absence flagrante de la moindre aspérité, comme si le dérapage devait toujours être contrôlé, ternit en réalité la portée. Preuve ultime d’avoir fait fausse route, le film sur papier glacé n’émeut jamais alors qu’il irrite dans sa vision unanimiste.
Patrick Braganti
Rabbit Hole
Drame américain de John Cameron Mitchell
Durée : 1h32
Sortie : 13 Avril 2011
Avec Nicole Kidman, Aaron Eckhart, Dianne Wiest,…
La bande-annonce :