En couverture de Télérama,, L est bombardée comme plus brillant sujet de la chanson française. Une affirmation péremptoire et gigantesque, qui amènera beaucoup de monde à écouter la chanteuse mais ne manquera de décevoir ceux qui voulaient retrouver Barbara ou ceux qui espéraient découvrir une vraie musique de 2011. L ou l’incarnation du vieil adage : »A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».
Quand je pense à L, deux images me viennent tout de suite à l’esprit. La première a été faîte à l’époque de son premier EP, Premières Lettres en 2008 : Raphaëlle Lannadère y apparaissait frontalement, le poitrail presque nu dans une robe qui battait des records du monde de décolleté et à l’étoffe aussi minimaliste que son pseudo. L’ image pour le moins racoleuse, attirait par son côté sexy, (impossible ne pas avoir une certaine émotion), mais répoussait par son côté »je suis prête à tout pour attirer le chalant » (le cliché a depuis largement disparu de la toile). Deuxième image, la couverture de Télérama justement où, L se présente, dans un look, autrement plus sage, de jeune fille sobre mais, malicieuse, avec des anglaises, comme une héroîne d’un livre de Jane Austen. Toutes les photos de presse sont d’ailleurs de cet acabit : une, jeune femme à l’allure de grande romantique, du 19e siècle, dans sa robe à la, blancheur immaculée., Incarner la chanson française et marcher sur les traces de, Barbara est aussi affaire d’images et dans le cas de L, Rome ne s’est pas fait en un jour. Cette digression pourrait ressembler à une attaque au dessous de la ceinture (plutôt au dessus en fait) ; je vous en laisse seul juge.
A écouter, Initiales, on peut aussi se poser la question, c’est quoi la chanson française en 2011 ? Sachant que le seul fait de chanter en français justement ne doit pas être le seul critère. Et Noir Désir ? Et Dominique A ? C’est de la chanson française ? Non, la chanson française se singularise avant tout par trois critères associés ensemble. Premièrement, le soin apporté à la qualité des textes et de ce côté là , entre poésie intimiste et réalisme cru, L s’en tire plutôt bien comparé aux textes deux-pièces cuisines de, Bénabar par exemple. Mais ce n’est pas non plus du François Villon et cela ne vaut pas la finesse de, Barbara ou la violence de, Ferré ; mais bon peut-être que ces deux modèles fondateurs sont indépassables.
Deuxièmement, qui dit « chanson française » dit voix mixée bien en avant avec un musique réduite souvent à la fonction d’accompagnement. On peut d’ailleurs noté que ce tic était normal en 1960, il est devenu totalement anachronique voire pénible de nos jours où la musique déferlant du monde entier fait l’exact opposé. Cela n’empêche pas Vincent Delerm de nous faire profiter de sa voix de faux vieux écrasant la musique de sa présence totalitaire. L a déjà pour elle d’avoir une voix particulière, douce mais légèrement grave, qui lui permet de se différencier de ces consoeurs gouailleuses, hurlantes ou au contraire aussi puissantes qu’un filet d’eau en période de sécheresse. Elle a un timbre élégant et intéressant ; tant mieux car elle nous en fait largement profité. Car L ne fait que la moitié du chemin de la modernité, trouvant dans ce fameux mixage un placement médian pour sa voix très présente mais pas écrasante (si vous voyez la nuance). La musique arrangée par Babx est bel et bien là , parfaitement audible et signe de quelques envies de modernité, elle utilise quelques discrets effets électroniques.
Ce qui nous renvoie naturellement au troisième critère qui peut définir ce qu’est la chanson Française. Celle-ci semble avoir survécu sans avoir subi la moindre influence anglo-saxonne (ce qui exclut de fait Dominique A du genre). Et là , c’est effectivement le cas chez L. C’en est même flagrant dès, Mes Lèvres qui nous ramène au temps des thés dansants d’avant-guerre avec en filigrane un touche d’exotisme colonial. Mescaline est du même acabit avec son air de vieux tango. Initiale est un album désuet et ce n’est même pas dû aux arrangements donnant une large place à des instruments acoustiques (piano, violon, violoncelle) mais plutôt à ce type d’écriture musicale qui semble un peu figé dans le formol et qui est venu jusqu’à nous du plus profond de passé sans que que la pop anglaise, le rock américain mais aussi la musique composite de, Gainsbourg ou de Bashung ait jamais existé. L reste désespérément une chanteuse franco-française dans la plus pure tradition (évoquant parfois même Fréhel, c’est dire).
A partir de là , on peut regretter cette posture (à quoi bon s’évertuer à rouler en calèche alors que les voitures ont été inventées ; est-ce qu’on peut faire du Barbara en 2011 ?) ou pas. Musicalement,, aidé en cela par Babx,, L met un peu de relief et différentes couches d’harmonie ; ce qui fait largement défaut dans La Nouvelle Chanson Française®, où la platitude musicale semble être devenue la norme (Le Diner de Bénabar, c’est le petit bonhomme en mousse version bobo, non ?) et où tout le monde semble être désespérément être sur la même ligne à jouer la même chose. L’album peut aussi s’apprécier pour sa musique, en partie en tout cas. Il y a dans, Initiales derrière les lignes des chant et les mélodies un peu faciles (sur le mode de la ritournelle sur, Jalouse) ou ennuyeuses (Mon frère, Je fume, les corbeaux) tout un sous-texte fait de vents contraires, d’atmosphères noires et de sonorités marécageuses. Par exemple,, Romance et séries noires n’est pas si loin d’un titre de, Portishead si le pesant côté »chanson française » ne coupait pas en partie les ailes à cette belle aspiration. Les belles intentions restent timides ou en partie ruinées par le rouleau compresseur d’une façon de faire encore trop sclérosé ou trop respectueuse des grands anciens.
Initiale est donc bien supérieur du tout-venant actuel ( à coté de Bénabar, Renan Luce ou Zaz, c’est Byzance !) mais très loin de ce qu’à pu faire, Bashung, , Dominique A ou, Claire DitTerzi qui ont su mieux concilier fond et forme ; écriture classique et modernité ; racines françaises et apports anglo-saxons. Deux titres néanmoins font espérer sur l’avenir de la demoiselle, deux titres qui remuent un peu et qui sortent la chanteuse de sa petite musique un peu trop classique. Pareil, le plus électronique du disque, distille des atmosphères électronicas proches de, Mùm, pour un titre aérien s’il en est. Et puis, il y a, Initiale porté par une , force ascensionnelle où l’interprète semble totalement en phase avec sa musique dans une belle symbiose émotionnelle. Deux titres qui peuvent laisser espérer mieux pour la prochaine fois quand L aura enfin réussit à tuer la mère (Barbara).
Denis Zorgniotti
Date de sortie : 4 avril 2011
Label / Distributeur : Tôt ou Tard / Wagram
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Plagiat ??
Je viens d’acheter cet album, dont on m’avait dit beaucoup de bien.
4ème chanson (« Petite ») , je sursaute .. attendez c’est quoi ça, Tarja ?? Même intro (juste un tout petit peu transposée) que « I walk alone » .. ça gache le plaisir, ça gache ..
Je viens de débarquer sur ce site que je connaissais absolument pas, je n’ai pas la moindre culture musicale mais j’ai trouvé votre critique très agréable à parcourir et enrichissante. Merci.