Largement étayé par sa propre enfance, My Little Princess, le premier film d’Eva Ionesco, s’affuble néanmoins des codes fictionnels qui autorisent la distance salvatrice et le regard plus neutre, comme moins empreint de rancoeur ou de pitié. Une distance qui trouve aussi son origine dans le temps de maturation d’un projet dont on comprend aisément en quoi il a pu être douloureux pour la réalisatrice débutante. Car My Little Princess met en scène la relation hors normes et dénaturée d’une mère et sa fille. Hannah, la mère, artiste photographe, utilise sa fille Violetta, une dizaine d’années, comme modèle pour des prises où se mêlent érotisme, imagerie religieuse et décorum surchargé des motifs en vogue pendant les années 70. Indéniablement, le film exploite l’esthétique glam, : tenues excentriques et scintillantes, mode de vie décadent, brassage sexuel. Mais derrière le décor aussi clinquant soit-il, c’est bien la relation de fascination/répulsion, à la fois fusionnelle et destructrice, que dissèque sans la juger ni l’appuyer sur des raisons psychologiques Eva Ionesco. Artiste en mal de reconnaissance, exécrant la médiocrité et aspirant aux plus grandes ambitions pour sa fille, Hannah est une femme multiple, fragile et déterminée, ne semblant pas réellement mesurer l’impact de son activité sur la personnalité en construction d’une enfant qui doit gérer sa vie quotidienne (école, copines) et les lubies capricieuses d’une mère hors des réalités. Ce sont aussi les limites de l’art qui sont ici questionnées, : que peut se permettre un artiste, l’oeuvre de création peut-elle s’arroger tous les droits, où se situe la frontière du respect de l’autre, surtout lorsqu’il s’agit d’une préadolescente n’ayant pas encore toutes ses facultés de discernement, séduite, intriguée puis dépassée par l’étrange commerce de sa mère, ? Toutes les deux blonde platine, Hannah et Violetta forment un curieux tandem où le rapport s’inverse souvent, semant le trouble, : qui est au demeurant la plus mature, la moins inconsciente des deux, ? Parce qu’elle a su créer une atmosphère onirique, Eva Ionesco donne à son film une forme de conte qui évite l’aspect scabreux ou racoleur qu’il aurait pu facilement revêtir. Hannah porte donc à sa fille un amour-monstre et peu importe que cette dernière en subisse les dommages. Pour l’artiste, seule sa création compte, peu préoccupée des moyens utilisés.
l’actrice Isabelle Huppert paraît évidente dans le rôle de cette intellectuelle, chantre de l’érotisme littéraire, mais la nouvelle venue Anamaria Vartolomei stupéfie par sa présence à l’écran, son charme de lolita terriblement naturel et vénéneux, qui ne trompe d’ailleurs pas l’entourage d’Hannah. À un moment, celle-ci conseille la lecture de Ma mère de Georges Bataille à sa fille. La référence n’est pas innocente, : la transgression, l’érotisme approché comme un rempart face au vide insaisissable de la mort sont des thématiques récurrentes chez l’écrivain, notamment dans l’opus cité vu comme la synthèse de ses préoccupations.
Volontairement théâtral – diction ampoulée des comédiennes, affectation des poses et recherche dans les tenues vestimentaires, géographie des lieux, à la fois antres et bordels – My Little Princess interpelle et dérange, mais sans susciter de gêne malsaine. On voit bien combien il est compliqué, sinon impossible, de se remettre d’une telle expérience, dont le principal effet a été de projeter sur le devant de la scène et au sein d’un milieu interlope une jeune fille, tout en la privant de son enfance puisqu’elle était soudainement propulsée dans le monde des adultes.
Patrick Braganti
My Little Princess
Drame français de Eva Ionesco
Durée : 1h45
Sortie : 29 Juin 2011
Avec Isabelle Huppert, Anamaria Vartolomei, Georgetta Leahu,…
La bande-annonce :