Il n’y a rien de particulièrement inédit à ce que des événements personnels, surtout s’ils sont tragiques, viennent nourrir l’inspiration d’artistes. C.’est particulièrement vrai dans les domaines de la littérature et du cinéma. Pour ce qui concerne les livres, un genre a fait depuis quelques années son apparition, : l’autofiction qui mêle, en quelque sorte, l’autobiographie à la fiction, créant entre les deux univers des interdépendances troublantes qui se complètent et fusionnent pour mieux faire exister le projet. À notre connaissance, le dispositif n’avait pas encore été pratiqué au cinéma. Ou plus exactement si certains cinéastes revendiquaient piocher dans leurs propres souvenirs traumatiques, tous les transformaient et les malaxaient, se gardant bien, qui plus est, de passer devant la caméra.
En ce sens, on serait tenté d’avancer que le nouveau long-métrage de Valérie Donzelli est probablement la première oeuvre autofictionnelle du septième art. En effet, à partir de la terrible épreuve qu’elle vécut avec son compagnon Jérémie Elkaîm, : la grave maladie de leur fils, elle décide d’utiliser cette matière personnelle et douloureuse pour réaliser un film à la fois bouleversant et déconcertant. Et si l’émotion qu’il suscite va de soi, même si elle nait souvent à contre-emploi, c’est davantage la force vitale qui s’en dégage constamment qui retient toute notre attention.
On serait bien en peine de cataloguer La guerre est déclarée. Quelque part entre le mélodrame et la comédie dramatique, sans doute, mais il faut d’abord l’appréhender comme un film physique, intense et vivant. Un film d’action résolument positif, qui ne pense même pas à l’apitoiement. Valérie Donzelli et Jérémie Elkaîm, coscénaristes et comédiens principaux de leurs propres rôles, ont travaillé selon un postulat qui les a portés de l’expérience réelle à sa relecture fictionnelle, : se débarrasser du mauvais pour ne garder que le bon, ou comment à partir d’instants tristes et douloureux parvenir à les transformer en quelque chose de profondément positif et vivant. Une intention salvatrice à double titre, : pour l’équilibre des protagonistes d’un épisode tant inattendu que traumatique, mais également pour la qualité du film ainsi réalisé. C.’est une évidence, mais La guerre est déclarée constitue un objet réellement à part, inventif et personnel, extrêmement juste et réfléchi. Ce qui n’était pas gagné d’avance car, en dépit de la volonté à se placer résolument du côté de la vie, de l’espoir et du positif, Valérie Donzelli n’hésite pas à affronter l’environnement angoissant des hôpitaux. Une partie non négligeable du film se déroule effectivement dans les services pédiatriques des grands, établissements marseillais et parisiens, ancrant par conséquent le film dans la réalité la plus brute et frontale, d’autant plus que le personnel hospitalier a également été mis à contribution. Ce souci d’ancrage réel se manifeste d’autre part par l’utilisation du son réel.
Mais jamais La guerre est déclarée ne devient un documentaire. Il demeure une fiction forte à l’équilibre fragile, dans laquelle se pose constamment la question de l’intégration des moments drôles, cocasses et légers – comme autant de respirations indispensables – à l’axe principal. Dans La Reine des pommes (2009), Valérie Donzelli révélait un regard original, insensé, déluré et ludique, influencé par ses aînés (Truffaut ou Rohmer). En s’emparant d’un terrible épisode de son existence, non seulement elle ne renonce pas à ce qui fit hier sa marque de fabrique, mais au contraire elle en tire profit pour personnaliser ce deuxième opus. Sans conteste, la façon la plus élégante et audacieuse d’instaurer la juste et bonne distance qui n’empêche certainement pas d’être touché, voire bouleversé.
Patrick Braganti
La guerre est déclarée
Comédie dramatique française de Valérie Donzelli
Sortie : 31 août 2011
Durée : 1h40
Avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaîm, César Desseix, Brigieet Sy, Frédéric Pierrot,…
La bande-annonce :