C’est sans doute le film le plus décrié du moment. Captivant et innovant pour certains, franchement manipulateur et abject pour d’autres. La question du Mal et comment la traiter au cinéma suscitent par définition la polémique.
C’est dans un feu d’artifices de couleurs tape-à -l’oeil et dans un décor d’Amérique que l’écossaise Lynne Ramsay signe un film… britannique. Loin des radiographies mornes mais essentielles de tant de cinéastes des contrées anglaises, la cinéaste brode ici un film-objet puissant sur la thématique si rebattue de la relation mère-fils. Point d’Å’dipe malsain ici, juste une mère dépitée qui se plonge dans ses souvenirs pour essayer de comprendre pourquoi (pourquoi quoi, se dit le spectateur). Le montage, d’une inventivité déstabilisante, détruit toute linéarité au hachoir avec une esbroufe pourtant irréprochable de maîtrise. De l’enfermement du bébé jusqu’à la tuerie de l’adolescent en passant par l’audace intrigante du petit garçon, tout chez Kevin amène à un malaise de cinéma et rend palpable l’angoisse d’une mère bouche bée face au drame, et le montage de rendre brillamment la mécanique criminelle de l’enfant.
Tilda Swinton, impériale d’effacement et de fatigue, le visage troué d’exaspération et de désespoir, porte le personnage de la mère avec une droiture et une rigueur de comédienne plutôt radicale et qui se développe dans la déconstruction de la chronologie du film. Loin de la psychologie familiale, Lynne Ramsay espère capturer le fils pour le comprendre, de sa naissance à son emprisonnement. La sensation maternelle est rendue aussi à l’écran, avec grande rudesse par le jeu de l’actrice et son air d’avoir accouché d’un monstre au magnétisme aussi angélique qu’infernal. La fonctionnalité et la bonhomie du père sont peut-être trop caricaturales dans le récit mais c’est pour mieux faire naître la cruauté et l’incompréhension finale que Ramsay (adaptant Lionel Shriver) laisse l’indice d’une famille naîve et heureuse par certains côtés. Sa mise en scène, elle, ose le tout pour le tout, dans l’allusion la plus insistante. Rien n’est montré mais, paradoxalement, tout semble plus puissant que la réalité tant la cinéaste rabâche ses idées visuelles pour ne plus nous lâcher, qu’il s’agisse d’une utilisation abondante du rouge (à presque chaque plan!) pour pallier l’absence de sang à l’écran, ou l’effet de cauchemar éveillé qui ressort de nombreuses séquences, parfois tournées comme des essais fantastiques ou d’épouvante.
L’influence de l’objet sur la mise en scène est parfois trop appuyée et c’est pour cela que le film tourne court en plein milieu, mais c’est aussi une preuve d’audace et de singularité remarquable qui sait servir le film avec une efficacité nouvelle et anti-mélodramatique. Lynne Ramsay est définitivement douée pour mettre à mal le cocon intérieur des êtres humains, filmant ici l’essence du Mal dans ses formes les plus innocentes – mais déjà présentes. L’enfant, à tout âge, semble avoir été cerné par l’esprit fasciné de Lynne Ramsay face à son sujet, tout comme l’enfant face à sa mère, objet ultime d’une quête de différence et de violence qui n’aboutira qu’à l’étreinte surprenante des deux dans le décor gris d’une prison. Audace morale, précipitation des effets, montage démonté, opposition des styles, We Need to Talk About Kevin semble finalement être un cinéma multi-genre au sein d’un drame de cinéma ordinaire.
Jean-Baptiste Doulcet
Si d’aventure l’allergie à la couleur rouge existait, on ne saurait trop déconseiller aux personnes éventuellement atteintes de regarder We Need to Talk About Kevin. Trêve de plaisanteries, le film de l’écossaise Lynne Ramsay est aussi à éviter si l’on exècre les longs-métrages manipulateurs, à la mise en scène archi voyante et inutilement complexe, à l’interprétation tenant de la performance, même si celle-ci est accomplie par une grande comédienne comme Tilda Swinton. l’adaptation du roman épistolaire de Lionel Shriver ne passe manifestement pas le cap du grand écran.
Pour traiter du rapport de haine entre une mère écrivain et son fils Kevin, mais aussi du Mal, la réalisatrice de Ratcatcher opte pour une narration extrêmement alambiquée, échafaudée sur des retours en arrière et des projections vers un avenir dont elle seule sait de quoi il est fait, mais qu’elle préfère nous faire découvrir par touches anxiogènes qui titillent la part malsaine de notre curiosité. Le climax du film, résumé dans la séquence du massacre perpétré par Kevin dans le gymnase de son établissement, semble sans cesse repoussé, la réalisatrice préférant l’atermoiement permanent. En attendant, faute de traiter son sujet, : le Mal, inné ou acquis, Lynne Ramsay fait dans l’outrance des afféteries de mise en scène avec overdose de rouge à l’écran, débauche des effets sonores, complexification qui égare le spectateur, comme si la linéarité chronologique avait amoindri la narration, preuve de l’incompétence de la cinéaste. Plus éreintant que traumatisant, We Need to Talk About Kevin à vouloir tout surligner, sinon expliciter, en devient terriblement manipulateur dans la désignation sous-jacente de la mère comme responsable, toujours dépeinte sous les traits d’une femme borderline, et du fils qui porte en lui, dès son plus jeune âge, dans ses attitudes comme dans ses yeux, tous les stigmates du parfait petit psychopathe. l’étouffement guette dans un film qui exclut le spectateur, obligé d’ingurgiter jusqu’à la nausée l’indigeste avalanche qui finit par l’engloutir. Ici, pas la moindre respiration, pas de place pour l’imaginaire du spectateur véritablement pris en otage dans les rets tissés par la réalisatrice.
Zappons vite et ne parlons surtout plus de Kevin, : pour ce qui est de la thématique du Mal, il sera plus judicieux de revoir Elephant ou Le Ruban blanc.
Patrick Braganti
We Need To Talk About Kevin
Drame britannique/américain de Lynne Ramsay
Sortie : 28 Septembre 2011
Durée, : 1h50
Avec : Tilda Swinton, Ezra Miller, John C. Reilly…
La bande-annonce :