Étrange situation que celle du cinéma d’auteur iranien cette année qui voit 2011 couronner d’un énorme succès Une Séparation, le film de Asghar Farhadi, alors que dans le même temps certains de ses confrères cinéastes sont interdits de tourner. En témoigne Ceci n’est pas un film, surprenant film du réalisateur Jafar Panahi. , Le talentueux auteur de Sang et Or et Hors-Jeu, même s’il a toujours eu maille à partir avec la censure depuis ses débuts n’a jamais autant été atteint par cette dernière qu’au moment où débute cet étrange objet filmique bricolé, très court (75mn) mais vital qu’on aurait envie de sous-titrer » 24 heures dans la vie d’un (ou deux) cinéaste(s), « .
Entrée de plain-pied dans le vif du sujet, : atmosphère tendue soutenue par un bruit de pétarades (ou rafales, ?) venant du dehors, filmé chez lui, seul à sa table, manifestement soucieux, le cinéaste est au bout du fil avec son avocate, redoutant la sentence dont on le menace, : 6 ans de prison, 20 ans d’interdiction de quitter le pays et surtout d’exercer son métier, : bienvenue en République Islamique d’Iran. Face à ce mur dressé devant lui – et par là -même toute la liberté d’expression des metteurs en scène iraniens – que peut un réalisateur seul, ? Panahi n’a comme seule arme que sa caméra, ou plutôt celle de son ami documentariste Mojtaba Mirtahmasb qui le filme, dialoguant avec lui, à l’abri mais aussi douloureusement enfermé dans son appartement. Paradoxe, : de ce film sur l’impuissance et l’isolement naissent une énergie vitale et une liberté étonnamment stimulantes.
Que peuvent deux hommes contre la folie liberticide et la paranoîa d’un régime sclérosé, ? Juste continuer à filmer. Filmer pour témoigner. Filmer pour tenter de trouver une solution. Filmer le désoeuvrement d’un homme touchant, tournant en rond comme tourne en rond dans la pièce l’iguane de sa fille, animal-star inattendue du film (ainsi que le chien des voisins, autre grand moment, vous verrez). Filmer sa volonté de refaire son propre cinéma, avouant ses manques, les refus de tous ses récents scénarios, l’envie de les raconter, là devant la caméra, juste pour faire exister ses projets. Se serait-on attendu à trouver passionnant un auteur décrivant le récit d’un film condamné à ne pas exister, ?
Étonnant moment proche du cinéma conceptuel du Lars von Trier de Dogville qui le voit réinventer chez lui à l’aide de traces au sol l’espace physique d’un film dont il doute du tournage éventuel.
Vivifiante malice d’un prototype inédit d’un cinéma aussi original que le Pater d’Alain, Cavalier, mais où tout serait vrai, volé à la peur et au néant dont ses auteurs doutent qu’ils puissent faire une oeuvre présentable mais qui ne s’arrêtent pourtant JAMAIS de tourner.
Car filmer malgré tout, c’est filmer pour conserver espoir, résister, être encore en vie. Le credo du film c’est la phase lancée par son ami à un Panahi soudain bouleversant car assailli par le doute et submergé par l’absurdité de raconter un film si on ne le tourne pas, : » Continuons, ! l’important, c’est que les caméras restent allumées, !, «
On aurait envie d’ajouter, : » l’important, c’est que les écrans restent allumés et que les salles se remplissent un peu plus, « . Juste pour aller voir ce moment d’inventivité et de résistance envoyé clandestinement à Cannes sur une clé USB et volé au chaos kafkaîen d’un pays qui tente d’éteindre la volonté d’expression de ses artistes, comme il aimerait endormir la conscience de ses citoyens.
Si le cinéma moderne se résume trop souvent à des images factices conçues pour tromper l’ennui, ce n’est pas le moindre des mérites que ce modeste film de contrebandier nous rappelle que l’acte de filmer n’est jamais gratuit et que le cinéma peut non seulement porter un regard sur le monde mais permet de conserver une chose devenue trop rare, sous la dictature ou pas, d’ailleurs : sa dignité.
Franck Rousselot
Ceci n’est pas un film
Documentaire iranien de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb
Sortie, : 5 octobre 2011
Durée, : 75 mn.
Avec, : Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb, «