Alors que Jafar Panahi verrait sa condamnation à six ans de réclusion, et une interdiction de filmer pendant deux décennies, confirmées par une cour d’appel iranienne, ; qu’un autre cinéaste Mohammad Rasoulouf, auteur de Au revoir, serait également condamné à un an d’emprisonnement, ; et tandis qu’Une Séparation, le magistral long-métrage d’Asghar Farhadi, sera sans conteste une des oeuvres majeures de 2011, le cinéma iranien et surtout ceux qui continuent à le faire exister et connaître au travers de travaux surtout accomplis dans la clandestinité méritent plus que jamais d’être défendus et promus. Défendus parce que la liberté d’expression doit toujours perdurer, même si elle s’exerce dans des conditions que les Occidentaux ont sans doute peine à concevoir, ; et promus parce que les oeuvres en question sont le plus souvent de grands films. Preuve si nécessaire que le septième art demeure un art de résistance, éclairant des horizons éloignés ou inconnus, capable paradoxalement du meilleur lorsqu’il se crée dans l’urgence, l’absence de moyens et peut-être la peur, comme si ces conditions à priori néfastes ou peu propices à la création sereine devenaient le terreau de l’imagination et de la débrouillardise. Les jurés d’Un Certain Regard ne s’y sont pas trompés en récompensant Au revoir du Prix de la Mise en scène, auquel nous aurions volontiers adjoint celui de la meilleure interprète pour la grande Leyla Zareh.
La comédienne y interprète Noura, une avocate, à qui a été retirée sa licence d’exercer, enceinte de quelques mois de son mari journaliste réfugié dans la clandestinité. Étrangère dans son propre pays, sans emploi, esseulée et traquée, elle décide de quitter Téhéran. En longs plans fixes, souvent tournés dans la pénombre et généralement en intérieur, le réalisateur de La Vie sur l’eau ambitionne de peindre l’existence compliquée de Noura, qui doit sans cesse affronter les tracasseries administratives (obtention d’un visa, validation du passeport de son mari, récupération d’une caution, »). Son quotidien se résume à des heures d’attente et de tractations se concluant par le versement de pots-de-vin et la promesse d’aide. Se défendant d’inscrire son travail dans le champ purement politique – une lecture, d’après lui, restrictive provenant de l’intolérance et de la précipitation des autorités du pays à l’interdire ou le stigmatiser – Mohammad Rasoulof se penche avant tout sur les problématiques complexes que doivent affronter ses compatriotes, et en tout premier lieu les femmes. Un geste apparemment banal, consistant à enlever du vernis à ongles avant un rendez-vous important, mais geste accompli par Noura au centre d’une rame de métro, ce qui du coup le transforme en attitude quasi révolutionnaire, suffit néanmoins à attester de l’état schizophrène du pays, ne parvenant plus, ou de moins en moins, à contenir et résoudre le décalage qui s’opère entre le style de vie des Iraniens et la coercition imposée par le législateur. Où l’on voit que la femme ne peut rien faire sans l’accord de son mari, d’un simple examen médical à la réservation d’une nuit d’hôtel.
Réalisé avec très peu de moyens humains et techniques, Au revoir ne paraît pourtant pas souffrir à l’écran de cette économie de moyens et des conditions drastiques de son tournage. Au contraire, la beauté des plans – celui, probablement le plus long, de la fouille de l’appartement est grandiose – subjugue par leur précision et leur préparation. Tout ici est pensé et réfléchi, participant à l’atmosphère claustrophobe et oppressante qui entoure, isole et enferme l’héroîne, qui semble accepter les événements avec un fatalisme las, servant juste à dissimuler sa détermination qui condense en quelques mots son projet, : » Quitte à se sentir étrangère, autant l’être à l’étranger, « . , Extrêmement austère et glaçant, Au revoir est une oeuvre forte et radicale, en tous points cohérente.
Patrick Braganti
Au revoir
Drame iranien de Mohammad Rasoulof
Sortie : 7 septembre 2011
Durée : 01h40
Avec Leyla Zareh, Lassan Pourshirazi, Benhame Rashakor,…